Par un important
arrêt du 9 mars 2022 (pourvoi n°
20-22.444, à paraître au
Bulletin et présentée
in extenso ci-dessous), pour la première fois, la
Cour de cassation a clairement formulé la règle de conflit de lois gouvernant la qualité à agir d'une association pour la défense d'un intérêt collectif en vue d'obtenir une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.
Elle a ainsi énoncé, au visa des articles 3 du code civil, 31 et 145 du code de procédure civile, la règle de conflit selon laquelle
«
la qualité à agir d'une association pour la défense d'un intérêt collectif en vue d'obtenir une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile s'apprécie, non au regard de la loi étrangère applicable à l'action au fond, mais selon la loi du for en ce qui concerne les conditions d'exercice de l'action et selon la loi du groupement en ce qui concerne les limites de l'objet social dans lesquelles celle-ci est exercée » (point 4).
Partant de là, la
Cour de cassation a cassé l’arrêt attaqué pour avoir considéré, à tort, que la qualité à agir conditionnant la
recevabilité de la demande d’associations établies en France, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, en vue de solliciter des mesures d’instruction concernant une société dont le siège social est situé en France, devait être déterminée conformément à la
lex causae (c’est-à-dire la loi applicable à l'action au fond) (point 5).
Avant cette importante décision, la règle de conflit permettant de désigner la loi applicable à la détermination de la qualité à agir d’un groupement en charge de la défense d’un intérêt collectif ne faisait pas consensus parmi la doctrine, tandis que la jurisprudence n’était pas significative sur cette question. L’hésitation était permise notamment entre
lex fori,
lex causae et loi du groupement.
Par sa décision du 9 mars 2022, la
Cour de cassation pose en la matière une règle claire, en laissant une place à la
lex fori et à la loi du groupement, et en écartant la
lex causae.
Catherine Bauer-Violas et
Delphine Archer
CIV. 1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 9 mars 2022
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 199 FS-B
Pourvoi n° J 20-22.444
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA
COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 MARS 2022
1°/ l'association Sherpa, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ l'association Les Amis de la terre France, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° J 20-22.444 contre l'
arrêt rendu le 17 septembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 2), dans le litige les opposant à la société Perenco, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux
moyens de cassation annexés au présent
arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat des associations Sherpa et Les Amis de la terre France, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Perenco, et l'avis de Mme Legohérel, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 18 janvier 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, M. Avel, Mme Guihal, M. Bruyère, conseillers, M. Vitse, Mmes Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, Mme Legohérel, avocat général référendaire, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la
Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent
arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'
arrêt attaqué (Paris, 17 septembre 2020), les associations de droit français Sherpa et Les Amis de la terre France ont assigné en référé la société Perenco devant le tribunal de grande instance de Paris pour obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la désignation d'un huissier de justice afin de procéder à des constatations au sein des locaux de cette société, situés en France, en vue d'établir la preuve de faits de nature à engager sa responsabilité en raison de dommages environnementaux survenus en République démocratique du Congo.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, ci-après annexé
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Les associations Sherpa et Les Amis de la terre France font grief à l'
arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes, alors « que la qualité à agir d'une association de défense de l'environnement établie en France exerçant une action, fût-elle attitrée, aux fins de solliciter toutes mesures tendant à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un procès en vue d'engager la responsabilité d'une société dont le siège social est situé en France, pour des atteintes à l'environnement constatées à l'étranger, est déterminée selon la lex fori ; qu'en déclarant irrecevable la demande des associations de droit français Sherpa et Les Amis de la terre France tendant à solliciter une mesure d'instruction in futurum dans l'optique d'un procès en réparation de dommages causés à l'environnement en République démocratique du Congo par la société Perenco dont le siège social est situé en France, à raison de son "contrôle de fait" et de son "influence dominante" sur les sociétés du groupe opérant en RDC, après avoir constaté la compétence internationale des juridictions françaises pour connaître d'une telle action, puis considéré qu'il n'était pas justifié de ce que la loi Congolaise selon elle applicable en vertu de la règle de conflit conférait aux associations qualité à agir, la cour d'appel, qui a apprécié la qualité à agir par application de la lex causae et ainsi méconnu la règle de conflit, a violé les articles 3 du code civil, 31 et 145 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 3 du code civil, 31 et 145 du code de procédure civile :
4. Il résulte de ces textes que la qualité à agir d'une association pour la défense d'un intérêt collectif en vue d'obtenir une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile s'apprécie, non au regard de la loi étrangère applicable à l'action au fond, mais selon la loi du for en ce qui concerne les conditions d'exercice de l'action et selon la loi du groupement en ce qui concerne les limites de l'objet social dans lesquelles celle-ci est exercée.
5. Pour déclarer irrecevable la demande des associations, l'
arrêt retient que celles-ci ne justifient pas, s'agissant d'une action attitrée, que la loi congolaise leur donnerait qualité pour agir au titre de dommages survenus en République démocratique du Congo.
6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'
arrêt rendu le 17 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet
arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Perenco aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par celle-ci et la condamne à payer aux associations Sherpa et Les Amis de la terre France la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la
Cour de cassation, le présent
arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'
arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la
Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille vingt-deux.
Le conseiller rapporteur
le Président
Le greffier de chambre