9 déc. 2022 - Mise à pied conservatoire : quels sont les droits du salarié en situation irrégulière ? - C. Bauer-Violas et N. Etcheverry

Par arrêt en date du 23 novembre 2022 publié au Bulletin (req.n°21-12.125), statuant en matière de licenciement d’un salarié étranger dépourvu de titre de séjour l’autorisant à travailler, la formation mixte de la Chambre sociale a jugé que l'employeur qui notifie à son salarié étranger en situation d'emploi illicite son licenciement pour défaut de titre de séjour, sans invoquer à l'appui de ce licenciement de faute grave, est redevable à l'égard de l'intéressé du salaire échu pour toute la période antérieure à la rupture du contrat de travail.
 
Avant d’examiner plus avant cette décision (II), nous rappellerons quelques principes régissant la rupture du contrat de travail du ressortissant étranger en situation irrégulière sur le territoire national (I).
 
I - La rupture du contrat de travail du salarié étranger en situation illicite.
 
Par principe, il est interdit d’embaucher un salarié étranger qui ne dispose pas d’une autorisation de travailler (article L 8251-1 du Code du travail).
 
La situation irrégulière du salarié étranger au regard de son séjour sur le territoire national emporte des conséquences du point de vue de la rupture de son contrat de travail.
D’abord, l'irrégularité de la situation d'un travailleur étranger est une cause objective qui justifie par elle-même la rupture du contrat.
 
De plus, son licenciement échappe aux règles « classiques » applicables en matière de licenciement :
 
ØL'intéressé n'a pas droit aux dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse puisque l’irrégularité de sa situation est une cause réelle et sérieuse de licenciement (Soc., 4 juillet 2012, pourvoi n° 11-18.840, Bull. 2012, V, n° 209 ; Soc., 1er octobre 2014, pourvoi n° 13-17.745) ;
 
Ø L’employeur n’est pas tenu d’organiser un entretien préalable à la rupture du contrat (Soc., 13 novembre 2008, pourvoi n° 07-40.689, Bull. 2008, V, n° 221), sauf à ce qu’il entende se prévaloir d’une faute grave à l'encontre du travailleur étranger, ce qui l’obligerait alors à mettre en œuvre la procédure de licenciement disciplinaire (Soc., 4 juillet 2012, pourvoi n° 11-18.840, Bull. 2012, V n° 209) et devrait être indiqué dans la lettre de licenciement (Soc., 17 novembre 2021, pourvoi n° 20-11.911).
 
Par ailleurs, en cas de rupture de la relation de travail en raison de sa situation illicite sur le territoire national, le salarié a droit en application de l’article L 8252-2, à une indemnité forfaitaire égale à trois mois de salaire, à moins que l'application des règles figurant aux articles L. 1243-8 et L. 1243-4, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail (indemnité légale de licenciement), ne conduise à une solution plus favorable).
 
II – L’arrêt du 23 novembre 2022

Les faits de l’espèce étaient les suivants :

Un ressortissant étranger a été embauché en qualité de veilleur de nuit à compter du 16 juillet 2012, suivant un contrat à durée indéterminée.
Mis à pied à titre conservatoire, il a été convoqué, le 23 avril 2014, à un entretien préalable en vue d'un licenciement puis licencié pour défaut de titre de séjour par lettre du 14 mai 2014 pour défaut de titre de séjour.
Le 6 mai 2016, il a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir le paiement d'indemnités, notamment du salaire correspondant à la période durant laquelle il avait été mis à pied.

Les juges du fond ont refusé de faire droit à sa demande.

Il était donc demandé à la Cour de cassation de dire si l’employeur pouvait décider, alors même qu’il n’était reproché aucune faute grave au salarié, que ce dernier devait faire l’objet d’une mise à pied du fait de l’irrégularité de sa situation.

Deux thèses s’opposaient.

Soit l’on considérait que le licenciement était fondé sur l’irrégularité de la situation du travailleur, il s’agissait donc d’une cause objective justifiant la rupture de son contrat de travail et non d’une faute grave. Ainsi, en l’absence d’une telle faute grave, la mise à pied n’était pas justifiée et le salarié ne pouvait être débouté de sa demande de rappel de salaire.

Le projet d’arrêt du rapporteur et l’avis de l’avocat général estimaient de leur côté, qu’en dépit de l’absence de faute grave, la situation irrégulière du salarié empêchait l’employeur de le conserver en poste, de sorte que la mise à pied était licite et qu’il n’y avait pas lieu de lui octroyer un rappel de salaire.

La Cour de cassation a tranché en faveur de la première thèse. Au visa des articles L. 1332-3, L. 8252-1 et L. 8252-2 1° du code du travail, elle a jugé :

« que si l'irrégularité de la situation d'un travailleur étranger constitue nécessairement une cause objective justifiant la rupture de son contrat de travail exclusive de l'application des dispositions relatives aux licenciements et de l'allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle n'est pas constitutive en soi d'une faute grave. L'employeur qui entend invoquer une faute grave distincte de la seule irrégularité de l'emploi doit donc en faire état dans la lettre de licenciement.
8. Seule la faute grave peut justifier une mise à pied conservatoire et le non-paiement du salaire durant cette période.

La solution retenue par la formation mixte de la Chambre sociale vient compléter la jurisprudence issue de l’arrêt du 4 juillet 2012, (pourvoi n° 11-18.840, Bull. 2012, V, n° 209) ayant jugé que si l'irrégularité de la situation d'un travailleur étranger constitue nécessairement une cause objective justifiant la rupture de son contrat de travail, exclusive de l'application des dispositions relatives aux licenciements et de l'allocation de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, elle n'est pas constitutive en soi d'une faute privative des indemnités de rupture.

L'employeur qui entend invoquer une faute grave distincte de la seule irrégularité de l'emploi doit donc en faire état dans la lettre de licenciement, et, s'étant placé sur le terrain disciplinaire, respecter les dispositions relatives à la procédure disciplinaire.
L’arrêt commenté fait une application stricte des principes régissant le licenciement des salariés en situation irrégulière sur le territoire nationale. Mais on peut le saluer car la solution retenue est empreinte d’équité.

Catherine Bauer-Violas et Nathalie Etcheverry