5 janvier 2017 - La recherche par les juges répressifs de l’existence de la faute civile : un office encadré - Léa Mary et C. Bauer-Violas

Par un arrêt du 7 décembre 2016 (p n°16-80.083), qui sera publié au bulletin de la Cour de cassation, la chambre criminelle a apporté d’importantes précisions sur les principes que doivent respecter les juges du fond lorsque, saisis du seul appel de la partie civile contre un jugement de relaxe, ils recherchent l’existence d’une faute civile.
Depuis un arrêt de la Cour de cassation du 5 février 2014 (Bull. crim. n°35) faisant suite à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation du principe de la présomption d’innocence (CEDH, Lagardère c. France, 12 avril 2012, req. n°18851/07), les juges du fond recherchent non plus si les faits déférés sont constitutifs d’une infraction pénale mais si une faute civile n’est pas caractérisée « à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ».
S’est ainsi posée la question de savoir si, dans le cadre de l’action civile, l’étendue des faits objet de la poursuite devait être appréciée en s’inspirant des principes relatifs à la saisine des juges du fond au titre de l’action publique ou si elle devait l’être d’une façon plus souple afin de favoriser l’indemnisation de la victime.
Concernant l’action publique, il est de principe que les juges du fond ne peuvent statuer que sur les faits visés dans la prévention, définie dans la citation ou l’ordonnance de renvoi (Crim. 10 novembre 2015, p n°14-84137 ; Crim. 29 juin 2016, p n°15-81904 ; Crim. 9 novembre 2016, p n° 15-82744).
Ainsi, s’il leur appartient de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c’est à la condition de n’y rien ajouter ou de ne pas substituer des faits distincts à ceux de la prévention, sauf acceptation expresse par le prévenu d’être jugé sur des faits ou circonstances aggravantes non compris dans la poursuite (Crim. 24 mai 2016, p n°14-85.665)
En outre, selon une jurisprudence constante de la chambre criminelle rendue au visa des articles 388, préliminaire du code de procédure pénale et 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme, lorsqu’ils requalifient les faits dans la limite de la prévention, les juges du fond doivent toujours avoir mis le prévenu en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée (Crim. 12 juillet 2016, p n°15-80477).
Or, quelques mois après l’arrêt du 5 février 2014, la Cour de cassation, saisie d’un pourvoi se prévalant des deux principes susvisés à l’égard d’un arrêt ayant retenu la faute civile du prévenu, a déclaré le moyen inopérant comme « relatif à la qualification pénale des faits » alors que « la cour d’appel n’était plus saisie que de l’action civile » (Crim. 24 juin 2014, p n°13-84.478, Bull. crim. n°159).
Dans cette espèce, le prévenu, poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de vol, avait été condamné, sur appel des parties civiles contre le jugement de relaxe, à indemniser celles-ci sur le fondement d’un détournement de fonds remis en vue d’un usage déterminé. Le pourvoi faisait valoir dans son premier moyen, d’une part, que la cour d’appel avait retenu un abus de confiance résultant du détournement des fonds remis quand la prévention visait une soustraction frauduleuse, sans constater que le prévenu avait accepté d’être jugé sur ces faits et, d’autre part, qu’elle avait requalifié les faits de vol en abus de confiance sans mettre le prévenu en mesure de s’expliquer sur la nouvelle qualification retenue.
L’arrêt attaqué révélait ainsi une modification manifeste du fondement de la faute civile, que la chambre criminelle n’a pas jugé bon toutefois de censurer, sans qu’il eût été possible alors de déterminer avec certitude si l’inopérance du moyen résultait de la rédaction même des branches, ne faisant aucune référence à la faute civile, ou si elle manifestait une éviction de principe des règles susvisées, y compris si elles avaient été, dans leur formulation, adaptées à l’action civile.
Encore, cette décision pouvait être interprétée comme écartant particulièrement le respect du principe du contradictoire en cas de modification, par les juges d’appel, du fondement de la faute civile d’autant que les énonciations de l’arrêt laissaient apparaître que la première branche du moyen était certainement vouée à l’échec, la faute civile n’ayant pas été retenue sur la base de faits non compris dans les poursuites.
L’arrêt du 7 décembre 2016 vient dissiper ces incertitudes.
En effet, la Cour de cassation prend, pour la première fois, expressément parti pour la transposition à l’action civile des principes encadrant l’étendue de la saisine des juges répressifs et la requalification pénale des faits.
Dans un attendu de principe, elle affirme ainsi, au visa des articles 2 et 497 du code de procédure pénale, ensemble l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme, et après avoir rappelé que le dommage dont la partie civile, seule appelante d’un jugement de relaxe, peut obtenir réparation, doit résulter d’une faute démontrée à partir et dans les limites des faits objets de la poursuite, que :
« si les juges répressifs, saisis des seuls intérêts civils, peuvent, après avoir mis l’auteur en mesure de s’expliquer sur le nouveau fondement envisagé, donner à la faute civile le fondement adéquat, différent de celui sur lequel reposait la qualification des infractions initialement poursuivies, c’est à la condition de ne pas prendre en considération des faits qui n’étaient pas compris dans les poursuites ».
Il est vrai que dans deux arrêts rendus eux aussi en 2016, la Cour de cassation a déjà affirmé que les juges du fond ne peuvent retenir « l’existence d’une faute civile découlant de faits non visés dans les poursuites » ou, encore, que « les juges correctionnels ne peuvent statuer sur l’action civile que dans la limite des faits visés à la prévention » (Crim. 19 mai 2016, p n°15-81.491, publié au bulletin ; Crim. 26 octobre 2016, p n°15-85.123).
Cependant, la Cour de cassation va ici plus loin puisqu’elle impose également aux juges du fond de respecter le contradictoire en cas de modification du fondement de la faute civile, différent de celui sur lequel reposait la qualification des infractions initialement poursuivies.
Si elle n’utilise pas le terme de « requalification », qu’elle réserve à l’action publique, elle contraint toutefois, dans une même logique, les juges du fond à mettre le prévenu relaxé en mesure de s’expliquer sur le nouveau fondement envisagé.
En l’espèce toutefois, ce n’est pas le non-respect du principe du contradictoire que la Cour de cassation censure mais bien la caractérisation d’une faute civile à partir de faits non visés dans l’acte de poursuite.
En effet, le prévenu, poursuivi du chef d’abus de faiblesse et d’escroquerie commis au préjudice de sa mère, avait été définitivement relaxé par les premiers juges en l’absence d’accomplissement par celle-ci, qui n’administrait plus ses biens à la période de la prévention du fait du placement sous la tutelle de son fils, d’un acte positif de remise de ses moyens de paiement ou fonds à ce dernier, élément constitutif des infractions poursuivies.
La cour d’appel avait cru néanmoins pouvoir retenir une faute civile au motif que le prévenu relaxé aurait admis, durant l’exercice de la tutelle, avoir « détourné » des sommes à son profit.
Le pourvoi a fait valoir notamment que la cour d’appel, qui n’avait pas pu caractériser une faute civile à partir et dans la limite des faits qualifiés d’abus de faiblesse et d’escroquerie par les poursuites faute de l’accomplissement par la mère d’un acte positif de remise, s’est prononcée par des motifs ne permettant pas à la Cour de cassation de déterminer dans quelle mesure la faute civile retenue était démontrée dans la limite des faits objet de la poursuite.
L’arrêt attaqué laissait en effet transparaître, sans l’assumer, une requalification des faits d’abus de faiblesse et d’escroquerie en abus de confiance et, ainsi, une modification du fondement de la faute civile, alors que les faits matériels susceptibles de relever d’un abus de confiance n’étaient pas compris dans les poursuites.
C’est à cette argumentation que la chambre criminelle a fait droit en relevant que « la qualité de tuteur du prévenu relaxé pour retenir une opération de détournement de fonds et non de remise [...] n’était pas visée dans l’acte de poursuite ».
Dès lors, après avoir rappelé dans un précédent arrêt le nécessaire respect par les juges du principe d’interprétation stricte de la loi pénale lorsqu’ils apprécient la faute civile (Crim. 11 mars 2004, Bull. crim. n°70), la Cour de cassation manifeste, une fois encore, la spécificité d’une faute civile qui, définitivement, ne saurait faire oublier qu’elle s’inscrit d’abord et avant tout dans les suites de poursuites pénales.

Léa Mary et Catherine Bauer-Violas