Huit ans après la remise du rapport « Labetoulle » qui avait envisagé d’autoriser l’ensemble des personnes publiques à recourir à l’arbitrage (
http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Rapport_final.pdf), le Conseil d’Etat a consacré dans une récente décision publiée au recueil (CE, 23 décembre 2015, Territoire des îles Wallis-et-Futuna, req. n°
376018), l’interdiction du recours à l’arbitrage pour les personnes publiques, sauf disposition législative expresse ou stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l’ordre juridique interne, rattachant cette prohibition aux « principes généraux du droit public français » :
« Considérant qu’il résulte des principes généraux du droit public français que, sous réserve des dérogations découlant de dispositions législatives expresses ou, le cas échéant, des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l’ordre juridique interne, les personnes morales de droit public ne peuvent pas se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d’un arbitre la solution des litiges auxquelles elles sont parties ».
Dans cette affaire, une clause d’arbitrage, dont la portée était discutée, avait été insérée dans le cahier des charges annexé à une décision de l’Administrateur supérieur des Iles Wallis et Futuna autorisant un opérateur économique à exploiter un réseau de télécommunications.
Un litige étant né quant à l’interconnexion des réseaux, l’opérateur économique, considérant que cette contestation relevait des missions dévolues à l’arbitre selon le cahier des charges, a fait nommer un arbitre qui a rendu une sentence arbitrale.
Cette sentence a immédiatement été contestée par l’Administration, tant devant la cour d’appel, désignée comme
juridiction d’appel de la sentence dans la signification de ladite sentence, que devant le Conseil d’Etat, qui apparaissait être le juge compétent pour statuer sur un tel appel.
Cette singularité procédurale a conduit à un détour par le
Tribunal des Conflits qui a désigné la
juridiction administrative comme compétente pour connaître du litige (
http://www.tribunal-conflits.org/PDF/4025_Decision_C4025.pdf)
L’Administration soutenait notamment que la sentence était nulle en raison de l’interdiction faite aux personnes publiques de recourir à l’arbitrage, sauf disposition expresse.
Or, si l’article 2060 du code civil interdit aux personnes publiques de compromettre, et donc de prévoir une clause de recours à l’arbitrage, cette disposition ne s’appliquait pas sur le territoire des Iles Wallis-et-Futuna, gouverné par le principe de spécialité législative en application de l’article 74 de la Constitution.
C’est donc en faisant à nouveau référence aux « principes généraux du droit public français », qu’il avait déjà invoqués trente ans plus tôt (CE, avis, Assemblée, 6 mars 1986, EDCE n° 38, p. 178) que le Conseil d’Etat rappelle que la prohibition du recours à l’arbitrage ne peut être écartée que par la loi ou des stipulations internationales.
Ce moyen ayant été invoqué pour la première fois devant le Conseil d’Etat, alors que l’Administration avait participé à la procédure arbitrale, cette affaire donne également l’occasion au Conseil d’Etat de confirmer (CE, 2 juillet 2014, req. n°
368590, publié au recueil) que le principe d’estoppel, consacré par la
Cour de cassation (Civ., 1
ère, 6 juillet 2005, Bull. I, n° 302, notamment en matière d’arbitrage (Civ., 2
ème, 11 juillet 2002, Bull. II, n° 161) n’a pas sa place dans le contentieux de la légalité :
« 2. Considérant, d'une part, qu'il n'existe pas, dans le contentieux de la légalité, de principes généraux en vertu desquels une partie ne saurait se contredire dans la procédure contentieuse au détriment d'une autre partie ; que, d'autre part, l'administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna est recevable à soulever pour la première fois devant le juge d'appel le moyen tiré de l'illégalité du recours à l'arbitrage sans que la société puisse utilement invoquer un " principe de bonne foi " pour y faire obstacle ; que, dès lors, les fins de non-recevoir opposées par la société Broadband Pacifique ne peuvent qu'être écartées ».
Le Conseil d’Etat annule donc la sentence attaquée, et renvoie l’affaire pour qu’il soit statué sur la demande, formulée par l’opérateur économique devant l’arbitre, par le tribunal administratif territorialement compétent.
Marie-Paule Melka et
Denis Garreau