3 mars 2017 - Focus sur la recevabilité des demandes nouvelles en appel - D. Archer et D. Garreau

Un arrêt récent du 22 février 2017 (1re Civ., n° 16-11.471) est l’occasion d’attirer l’attention des praticiens sur les incertitudes des solutions jurisprudentielles concernant les conditions de recevabilité des demandes nouvelles à hauteur d’appel.
Dans cette affaire, l’acquéreur d’un véhicule, se plaignant de désordres affectant celui-ci, avait initié une procédure judiciaire sur le fondement de la garantie des vices cachés. Plus précisément, devant les premiers juges, il avait opté pour l’action rédhibitoire, c’est-à-dire la résolution de la vente, assortie de dommages et intérêts.
Après avoir été débouté de l’intégralité de ses demandes par les premiers juges, pour la première fois à hauteur d’appel, l’acquéreur déçu avait formulé une demande subsidiaire en paiement du coût de la remise en état du véhicule outre divers dommages et intérêts.
Cette demande exprimait le choix, subsidiaire, de l’acquéreur en faveur de l’action estimatoire en vertu de laquelle la vente est maintenue, sauf à octroyer à l’acquéreur une compensation financière.
La cour d’appel avait jugé cette prétention nouvelle en cause d'appel et l’avait, partant, déclaré irrecevable.
La Cour de cassation a accueilli le pourvoi de l’acquéreur contre cet arrêt en jugeant, au visa de l’article 565 du code de procédure civile, que la demande subsidiaire en paiement du coût de la remise en état du véhicule et en paiement de dommages-intérêts pour compenser la perte de jouissance, les frais d'immobilisation et autres dépenses tendait aux mêmes fins que celle formée en première instance, de sorte que la cour d’appel aurait dû la déclarer recevable.
Cette solution est l’occasion d’attirer l’attention des praticiens du droit sur les incertitudes entourant la matière, car par-delà leur empirisme, les solutions retenues en jurisprudence ne sont pas exemptes de contradictions.
 
1. Rappel des textes
Aux termes de l’article 564 du code de procédure civile :
« A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».
L’article 565 du code de procédure civile précise que :
« Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ».
Enfin, l’article 566 du code de procédure civile vient tempérer l’interdiction des demandes nouvelles en cause d’appel en indiquant que :
« Les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément ».
Pour s’en tenir à la combinaison entre les articles 564 et 565 du code de procédure civile et s’agissant en particulier du critère des « demandes tendant aux mêmes fins » cristallisé sur l’identité de finalité des demandes, il apparaît que les solutions dégagées en jurisprudence ne permettent pas vraiment de dégager une ligne cohérente.
 
2. Une jurisprudence incertaine
Certes, s’agissant des rapports entre action en annulation et action en résolution ou résiliation, la jurisprudence semble admettre de façon constante et au demeurant logique que « la demande en annulation de la vente pour dol tend (…), comme la demande en résolution, à mettre la vente à néant et que, bien que formulée pour la première fois en appel et procédant d'un fondement juridique différent, cette demande [est] recevable » (3e Civ., 24 avril 1981, n° 80-10.295).
La raison en est que « l'action en résolution et celle en nullité ont toutes deux pour résultat l'anéantissement rétroactif de l'acte » (1re Civ., 10 mai 2005, n° 02-21412).
De façon plus audacieuse, il a été admis que « l'exception d'inexécution et l'action en résolution d'une convention constituent, sous deux formes différentes, l'exercice du même droit et tendent aux mêmes fins » (1re Civ., 2 février 1999, n° 96-21291, Bull. I n° 33). Il en va de même de la demande d'exécution d'un contrat et la demande de réparation par équivalent (2e Civ., 10 mars 2004, n° 02-15062, Bull. II, no 99).
Les incertitudes surgissent en particulier lorsque l’on raisonne à partir de la demande en résolution ou en résiliation, comparée à d’autres demandes se rapportant au contrat, mais qui n’y mettent pas fin.
A cet égard, il a été jugé que « l'action en résiliation, qui a pour effet de mettre à néant le contrat de bail, ne tend pas aux mêmes fins que la demande tendant à l'application de clauses de ce contrat, qui le laisse subsister » (3e Civ., 20 janvier 2010, n° 09-65272, Bull. III, n° 14).
Suivant cette logique, selon certains arrêts, la demande en réduction du prix de vente d'un fonds de commerce ne tend pas aux mêmes fins que celle, soumise aux premiers juges, tendant à l'annulation de cette vente. La Cour de cassation prend le soin d’expliquer cette solution : « l’action en nullité d’une vente de fonds de commerce a pour objet de mettre à néant le contrat de vente, tandis que l’action en réduction du prix, qui laisse subsister le contrat, tend à une simple restitution partielle du prix de vente » (Com., 18 janvier 1984, n° 82-11958, Bull. IV no 23.  Rappr : 2e Civ., 8 septembre 2011, n° 09-13086, Bull. II, n° 163, jugeant que « la demande de résolution, qui vise à mettre à néant le contrat, ne tend pas aux mêmes fins que la demande d'exécution sous astreinte, qui le laisse subsister »).
Dans le même sens, une cour d’appel a été approuvée d’avoir admis que « la demande d'annulation de l'ensemble des opérations réalisées sur les comptes-titres et les contrats d'assurance-vie ne tendait pas aux mêmes fins que celle, soumise au premier juge qui, ne visant qu'à la réparation du préjudice lié à l'accomplissement de ces opérations, les laissait subsister » (Com., 9 décembre 2014, n° 13-23673).
Ainsi, selon la logique de ces arrêts, la demande en résolution d’un contrat, parce qu’elle tend à l’anéantissement du contrat, ne devrait pas pouvoir être considérée comme tendant à la même fin que toute autre demande conduisant au maintien du contrat.
Pourtant, l’arrêt du 22 février 2017 rompt avec cette logique, puisqu’il aurait fallu en déduire que, laissant subsister la vente, l’action estimatoire ne tendait pas aux mêmes fins que l’action rédhibitoire conduisant à l’anéantissement de la vente. Or, il a été indiqué que la Cour de cassation avait retenu la solution inverse.
Pour autant, il ne s’agit nullement d’un revirement de jurisprudence. Cet arrêt fournit plutôt une illustration de l’inconstance des solutions en la matière, puisqu’à l’inverse des décisions qui viennent d’être exposées, il a été jugé que l'action en exécution et l'action en résolution ou résiliation d'une convention constituent, sous des formes différentes, l'exercice du même droit et tendent aux mêmes fins (3e Civ., 2 mai 1979, n° 77-14445, Bull. III, no 94 ; Com., 16 janvier 2001, n° 97-14104, Bull. IV, no 10 ; Com., 14 juin 2005, n° 02-18164). 
 
3. Remarques conclusives
En définitive, au vu de ce panorama, la jurisprudence paraît bien incertaine concernant l’appréhension du critère de l’identité de finalité des demandes conditionnant la recevabilité d’une demande nouvelle en appel.
La plus grande prudence imposera donc au praticien d’invoquer l’ensemble des demandes envisageables lors de la procédure introduite devant les premiers juges, étant entendu toutefois que la demande se rapportant à la survenance ou la révélation d'un fait en cours de procédure pourra être soumise pour la première fois au juge d’appel, cette exception étant prévue par l’article 564 in fine du code de procédure civile.
Cela étant, les conséquences fâcheuses de l’irrecevabilité d’une demande nouvelle en appel doivent sans doute être tempérées, si l’on admet que cette problématique est le pendant, en quelque sorte, de celle de l’autorité de chose jugée à partir de laquelle la jurisprudence a imposé un principe de concentration des moyens (Cass. AP, 7 juillet 2006, n° 04-10672, Bull. AP, n° 8, énonçant « qu’il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci »).
Ainsi, si une demande est jugée irrecevable en cause d’appel pour n’avoir pas été soumise au premier juge, il devrait être admis que l’autorité de chose jugée ne fait pas obstacle, suivant les critères retenus par l’Assemblée Plénière, à ce que la demande soit à nouveau soumise aux juges du premier degré.
Ce raisonnement devra toutefois être mis à l’épreuve de la jurisprudence de la Cour de cassation
 
Delphine Archer et Denis Garreau