3 juin 2016 - Conditions de reconnaissance d’une décision rendue par une juridiction britannique en matière d’obligations alimentaires - Delphine Archer et Catherine Bauer-Violas

Par un intéressant arrêt du 25 mai 2016 promis à une large diffusion (1re Civ., 25 mai 2016, n° 15-21.407 - P + B + I), la première chambre civile de la Cour de cassation a admis la reconnaissance de plein droit d’une décision britannique en application du règlement CE n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, entré en vigueur le 18 juin 2011.
 
En l’espèce, une femme avait introduit, sur le fondement de ce règlement, une demande de déclaration constatant la force exécutoire en France d’une décision rendue le 2 août 2012 par la County Court de Bath au Royaume-Uni, au cours d’une instance en divorce ouverte devant cette juridiction, condamnant son mari à lui verser une certaine somme en capital à titre d’obligation alimentaire.
Par ordonnance du 28 novembre 2013, le Président du tribunal de grande instance de Montauban, accueillant la demande, avait déclaré exécutoire la décision du 2 août 2012.
Le mari a formé un pourvoi contre l’arrêt ayant confirmé cette ordonnance.
À ce stade, un bref rappel des dispositions du règlement CE n° 4/2009 s’impose pour une bonne compréhension de la décision.
 
Le chapitre IV de ce règlement, relatif à la reconnaissance, à la force exécutoire, et à l'exécution des décisions, distingue selon que les décisions ont été rendues dans un État membre lié ou non par le protocole de La Haye du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires. Pour les décisions émanant du Royaume-Uni, qui n’est pas lié par le protocole de La Haye de 2007, le Règlement instaure une procédure et des conditions d'exequatur simplifiées et assouplies, qui s’apparentent à celles figurant dans le règlement CE n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit Règlement « Bruxelles I »), remplacé par le règlement UE n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012.
Ainsi, aux termes de l’article 23.1 du règlement n° 4/2009:
« Les décisions rendues dans un État membre non lié par le protocole de La Haye de 2007 sont reconnues dans les autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure ».

Par exception, l’article 34 du Règlement prévoit que la déclaration constatant la force exécutoire de la décision étrangère peut être refusée ou rétractée pour les motifs qui figurent à son article 24 qui énumère, de façon limitative et restrictive, des « motifs de refus de reconnaissance ».
Il s’agit notamment de la contrariété manifeste à l’ordre public (article 24 a)) et de l’absence de signification en temps utile de l’acte introductif d’instance au défendeur pour se défendre (article 24 b)).
À l’appui de son pourvoi, le mari prétendait, d’une part, que son épouse s’était prévalue d’une fausse domiciliation au Royaume-Uni et que cette création d’un lien de rattachement artificiel caractérisait une fraude à la juridiction, constitutive d’une atteinte à l’ordre public, faisant obstacle à la reconnaissance de plein droit de la décision britannique en vertu de l’article 24 a).
D’autre part, le mari se plaignait d’une atteinte à ses droits de la défense pour ne pas avoir été prévenu suffisamment longtemps à l’avance afin d’organiser utilement sa défense devant une juridiction étrangère.

Dans son arrêt de rejet, la Cour de cassation répond successivement à chacun de ces moyens.
D’une part, reprenant les constatations de l’arrêt attaqué, elle a relevé que le juge du County Court de Bath avait tranché la question de la compétence en jugeant que les juridictions britanniques étaient compétentes pour connaître de la requête déposée par l’épouse après avoir constaté notamment que les deux époux étaient domiciliés au Royaume-Uni. Ces circonstances sont donc exclusives d’une fraude et d’une atteinte à  l’ordre public.
D’autre part, reprenant encore les constatations de la cour d’appel, elle a relevé que l’intéressé avait été avisé par les conseils de l’épouse des dates d’audience, lesquelles avaient fait l’objet de renvois successifs en raison de l’absence de diligences de sa part. Il s’ensuit que le mari ne pouvait se plaindre d’une atteinte à ses droits de la défense.
Cette décision est une parfaite illustration de la tendance à un assouplissement des conditions de reconnaissance de plein droit des décisions dans le cadre d’un espace de liberté, de sécurité et de justice au sein de l’Union européenne. Ainsi, le juge de l’Etat requis abdique quasiment tout contrôle sur la décision étrangère, suivant un principe de « confiance mutuelle ».
 
Catherine Bauer-Violas et Delphine Archer