28 fév. 2019 - Précisions sur la recevabilité du pourvoi et des moyens dirigés contre un arrêt mixte ordonnant une expertise et des mesures provisoires - F. Sebagh et D. Garreau

Par un arrêt du 13 décembre 2018 (pourvoi n° 17-28055), la Troisième chambre civile a procédé à d’utiles rappels concernant la recevabilité du pourvoi et des moyens dirigés contre un arrêt mixte.

On sait qu’aux termes de l’article 606 du code de procédure civile, « les jugements en dernier ressort qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être frappés de pourvoi en cassation comme les jugements qui tranchent en dernier ressort tout le principal ».

La recevabilité du pourvoi dirigé contre un arrêt mixte, prescrivant une mesure d’instruction ou provisoire, et tranchant une partie du principal, ne fait guère de doute en vertu de cet article.

La mise en œuvre de ce principe doit toutefois être nuancée.

De ce que le pourvoi est recevable, il ne faudrait pas déduire que tous les chefs de dispositif sont attaquables immédiatement.  Il convient, en effet, de distinguer soigneusement la recevabilité du pourvoi de celle du moyen. Mais, de ce que certains chefs de dispositif ne peuvent, en principe, être attaqués immédiatement, il ne faudrait pas non plus déduire qu’ils ne peuvent jamais l’être. Il convient, en effet, de vérifier si la cour d’appel n’a pas, malgré l’apparence d’un avant-dire droit, tranché une partie du principal.

Dans cette affaire de bail commercial, le preneur invoquait notamment un moyen reprochant à la cour d’appel d’avoir ordonné à l’expert judiciaire de donner tous éléments techniques et de fait relatifs à l’indemnité d’occupation devant correspondre à la valeur locative du bien à compter d’une certaine date.

En principe, un moyen dirigé uniquement contre le chef de dispositif d’un arrêt mixte ayant ordonné une mesure d’instruction n’est pas recevable (1ère Civ., 28 mars 2018, n° 17-16198 ; 3ème Civ., 3 décembre 2015, n°14-24283 ; 1ère Civ., 17 décembre 2014, n° 13-28060). Il en irait autrement en cas d’excès de pouvoir (Com., 17 novembre 1998, n° 96-13361), mais un tel vice est, on le sait, rarement caractérisé. Les bailleurs opposaient ainsi cette jurisprudence au demandeur au pourvoi.

La Cour de cassation a, toutefois, rejeté la fin de non-recevoir invoquée aux motifs qu’« en confirmant, dans son dispositif, le jugement en ce qu'il a donné mission à l'expert de donner tout élément technique relatif à l'indemnité d'occupation devant correspondre à la valeur locative à compter du 30 mars 2015, date de la première demande de fixation judiciaire de cette valeur, l'arrêt a tranché une partie du principal, de sorte que le moyen est recevable ».

En effet, sous couvert d’une mesure d’instruction, l’arrêt avait imposé à l’expert certaines modalités d’appréciation de l’indemnité d’occupation, laquelle devait correspondre à la valeur locative à compter d’une date précise. Partant, une partie, même limitée, du principal avait été tranchée par le juge. Le moyen était donc non seulement recevable, mais devait même, sous peine de tardiveté, être impérativement formulé dans le cadre du pourvoi formé contre l’arrêt mixte, et non dans le cadre d’un éventuel pourvoi contre l’arrêt à intervenir sur le fond.

Certes, le principe n’est pas nouveau, et il avait déjà été jugé que « dès lors que, dans son dispositif, l'arrêt attaqué qui ordonne une expertise pour l'évaluation des biens soumis à un partage, dispose que les biens seraient estimés "d'après leur état et leur valeur au jour du partage" cette décision tranche une partie du principal et le pourvoi dirigé contre elle doit être déclaré recevable par application de l'article 606 du nouveau Code de procédure civile » (1ère Civ., 23 juin 1982, n° 81-11447, B. n° 236).

Mais la décision commentée a le mérite de souligner l’importance d’un examen attentif de l’énoncé de la mission de l’expert afin de déceler un point de droit tranché par la cour d’appel qui justifierait la formation d’un pourvoi.

Par ailleurs, le défendeur invoquait l’irrecevabilité d’un autre moyen, qui était dirigé contre un chef de dispositif allouant des provisions aux propriétaires bailleurs.

Cette fois, la fin de non-recevoir a été accueillie, et ce dès lors que « si l'arrêt tranche une partie du principal, le moyen n'est dirigé qu'à l'encontre du chef de dispositif qui alloue des provisions aux propriétaires bailleurs dans l'attente de l'exécution de la mesure d'expertise de sorte que le moyen est irrecevable ».

C’est la distinction, évoquée précédemment, entre la recevabilité du pourvoi et celle du moyen. Celui-ci doit être dirigé contre un chef de dispositif tranchant une partie du principal, ce qui n’est pas le cas d’une condamnation à payer une provision.

Finalement, l’arrêt a été cassé en ce qu’il avait donné mission à l’expert de donner des éléments techniques relatifs à l’indemnité d’occupation selon des modalités erronées en droit.

Fabrice Sebagh et Denis Garreau