Ces dernières années, la procédure d’appel dans les matières avec représentation obligatoire a connu de nombreuses réformes. En particulier, le décret
n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile, applicable aux appels formés à compter du 1
er septembre 2017, a prévu notamment une évolution majeure en matière de déclaration d’appel.
Il a en effet ajouté un alinéa 4° à l’article 901 du code de procédure civile, qui prévoit que :
«
La déclaration d'appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l'article 58, et à peine de nullité :
[…]
4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible ».
Cette texte a suscité des interrogations, qui ont donné lieu à une demande d’avis à la
Cour de cassation, afin de répondre à la question de savoir quelle est la sanction encourue par la déclaration d’appel, formée à compter du 1
er septembre 2017, portant comme objet « appel total » ou « appel général », sans viser expressément les chefs de décision critiqués, lorsque l’appel ne tend pas à l’annulation du
jugement ou que l’objet du litige n’est pas indivisible.
Par trois avis en date du 20 décembre 2017 destinés à la publication au Bulletin (Avis de la
Cour de cassation, 20 décembre 2017,
n° 17-70.034,
17-70.035 et
17-70.036, à paraître au Bulletin), la deuxième Chambre civile de la
Cour de cassation a précisé la nature (1) et le régime juridique de cette sanction (2).
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La nature de la sanction encourue par la déclaration d’appel qui ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués.
Dans un premier temps, la deuxième Chambre civile de la
Cour de cassation a affirmé qu’hors le cas où l’appel tend à l’annulation du
jugement ou lorsque l’objet du litige est indivisible, la déclaration d’appel qui porte l’indication d’un « appel total » ou « général », sans viser expressément les chefs du
jugement critiqués, ne répond pas aux exigences de l’article 901 du code de procédure civile et encourt la nullité prévue par cette disposition.
Il est ainsi mis fin à la faculté de faire un appel général, l’appelant se voyant imposer à peine de nullité de préciser les chefs du
jugement expressément critiqués.
En pratique, cette solution contribue à accentuer le formalisme des écritures déjà imposé aux parties et à leurs conseils.
Il importe de rappeler à toutes fins que, corrélativement, les règles relatives à l’effet dévolutif de l’appel ont été modifiées. Notamment, l’alinéa 1
er de l’article 562 du code de procédure civile affirme désormais le principe selon lequel l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de
jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La règle qui prévoyait, au sein de l’alinéa 2, que la dévolution s’opère pour le tout lorsque l’appel n’est pas limité à certains chefs, est supprimée. Il s’ensuit que la dévolution ne s'opèrera plus pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du
jugement ou si l'objet du litige est indivisible. Et l’effet dévolutif ne jouera pas en l’absence de critique expresse sur des chefs du
jugement déterminés (circulaire du 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret n°2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile, modifié par
le décret n° 2017-1227 du 2 août 2017).
Dans un second temps, la
Cour de cassation a indiqué que la nullité encourue en cas de non-respect des dispositions de l’article 901 du code de procédure civile relevait des nullités pour vice de forme, et non pour vice de fond. Les nullités pour irrégularité de fond sont en effet celles limitativement énumérées à l’article 117 du code de procédure civile (Ch. mixte, 7 juillet 2006, pourvoi n° 03-20.026,
Bull. 2006, ch. mixte, n°6).
En application de l’article 112 du code de procédure civile, cette nullité devra être soulevée par l'intimé avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, et conformément à l’article 114 du même code, la nullité ne pourra être prononcée qu’à la charge pour l’intimé de prouver le grief que lui cause l’irrégularité.
La portée de cette sanction paraît donc limitée, puisqu’il appartiendra à l’intimé de démontrer que l’absence d’indication des chefs du
jugement critiqués désorganise sa défense.
En définitive, eu égard à l’exigence d’un grief, le doute subsiste sur l’effectivité réelle de la nullité d’une déclaration d’appel portant l’indication d’un « appel total » ou « général ».
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Le régime juridique de la sanction encourue par la déclaration d’appel qui ne mentionne pas les chefs de jugement critiqués.
La
Cour de cassation a ensuite précisé, par référence certainement implicite à l’article 115 du code de procédure civile, que la nullité pouvait être couverte par une nouvelle déclaration d’appel.
La régularisation ne peut toutefois intervenir après l’expiration du délai imparti à l’appelant pour conclure conformément aux articles 910-4, alinéa 1, et 954, alinéa 1, du code de procédure civile.
Les avis de la
Cour de cassation vont ainsi dans le sens d’une limitation de la régularisation de la nullité encourue.
La portée de cette limitation demeure toutefois incertaine, compte tenu de l’effet interruptif du délai d’appel – qui est un délai de forclusion – attaché par l’article 2241 du code civil à une déclaration d’appel annulée pour vice de procédure (2
e Civ., 16 octobre 2014, pourvoi n°
13-22.088,
Bull. 2014, II, n° 215 ; 2
e Civ., 1
er juin 2017, pourvoi n°
16-14.300, à paraître au Bulletin).
La doctrine est divisée sur ce point (v° par exemple, P. Gerbay, Appel – Le sort de la déclaration d’appel indiquant seulement « appel général », note sous Cass. 2
e civ., avis, 20 déc. 2017, n° 17019, P+B, JCP G 12 février 2018, 173 ; R. Lafflyle, Sanction encourue par la nouvelle déclaration d’appel, Dalloz Actualité 12 janvier 2018). Il appartiendra à la
Cour de cassation d’apporter davantage de précisions.
En conclusion, ces nouvelles exigences rédactionnelles et temporelles relatives à la déclaration d’appel répondent aux objectifs de meilleure gestion des délais de procédure et de désengorgement des cours d’appel, poursuivis par le décret du 6 mai 2017
relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile.
Toutefois, ces exigences ont également pour effet d’accroitre considérablement la charge des avocats en les invitant à encore plus de réactivité et de vigilance.
Sophie Mahé, Sonia Merad (stagiaire) et
Denis Garreau