1er déc. 2017 - « Droit d’appel » : Ne pas payer peut coûter cher - M. Abkari, S. Mahé et D. Garreau

Deux arrêts récents et publiés au Bulletin (2e Civ., 28 septembre 2017, pourvoi n° 16-18166, Bull. à paraître (irrecevabilité) ; 2e Civ., 11 mai 2017, pourvoi n° 16-17083, Bull. à paraître (cassation)) ont apporté des précisions sur l’irrecevabilité de l’appel comme sanction du non-acquittement du droit d’appel.
                                        
  1. Origine du droit d’appel
Depuis 2015, en application des articles 963 du code de procédure civile et 1635 bis P du CGI, un droit de 225 euros - affecté au fonds d'indemnisation de la profession d'avoué près les cours d'appel - est dû par toute partie (appelant, intimé, intervenant) impliquée dans une procédure avec représentation obligatoire introduite devant la cour d'appel  :
«  Lorsque l'appel entre dans le champ d'application de l'article 1635 bis P du code général des impôts, les parties justifient, à peine d'irrecevabilité de l'appel ou des défenses selon le cas, de l'acquittement du droit prévu à cet article ».
 
Il s'applique aux procédures contentieuses comme gracieuses mais n'est pas dû en cas de procédure sans représentation obligatoire.
 
Ce droit dont les modalités d’application sont précisées aux articles 963 à 964-1 du code de procédure civile est acquitté par l'avocat postulant pour le compte de son client, soit par timbre mobile, soit par voie électronique.
 
L’appelant doit procéder à l'acquittement du droit lors de la remise de son acte d'appel au greffe, et l'intimé, lors de la remise de son acte de constitution.
 
Le non-paiement du droit de 225 euros entraîne l'irrecevabilité de l'appel ou des défenses selon le cas (article 963, alinéa premier).
 
Cette irrecevabilité est constatée d'office par le juge (article 963, quatrième alinéa).
 
Cependant, par application de l’article 126 du code de procédure civile, cette fin de non-recevoir n'est pas prononcée s’il est justifié du paiement avant que le juge ne statue (Pour un exemple d’application de l’article 126 du Code de procédure civile : Soc., 28 mars 2012, pourvoi n° 11-61180, Bull. 2012, V, n° 112 (rejet)).
 
Dans la pratique, “il n’est pas rare qu’à l’audience de plaidoirie, le Président invite l’avocat à régulariser sans délai afin d’éviter une irrecevabilité” (R. Laffly, Irrecevabilité relevée d’office et timbre fiscal, La semaine juridique édition générale, 29 mai 2017, n° 22, 604, § 4).
 
La pratique paraît donc plus permissive que la lettre du texte.
 
Un cas relativement spécifique a récemment permis à la Cour de cassation de rappeler que l’application du droit d’appel devait s’effectuer dans le respect du principe du contradictoire.
 
  1. Respect du principe du contradictoire et du procès équitable
 
Dans un arrêt en date du 11 mai 2017, la Cour de cassation a en effet jugé qu’une cour d’appel, ne pouvait déclarer un appel irrecevable, sans avoir invité la partie appelante à s'expliquer sur le défaut de justification du paiement du droit prévu à l'article 1635 bis P du code général des impôts, sauf à méconnaître l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l’article 963 du même code et l’article 6 § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (2e Civ., 11 mai 2017, pourvoi n° 16-17083, Bull. à paraître (cassation)).
 
En l’espèce, la Cour de cassation relève qu'il ressortait du dossier de la procédure que l'avis préalablement adressé par le greffe à l'avocat de l'appelante sollicitant la justification du paiement, comportait une erreur sur l'identité de l'avocat destinataire de cette demande, de sorte que les éléments du dossier n'établissaient pas que l'appelante avait été mise en mesure de régulariser la situation donnant lieu à cette fin de non-recevoir.
 
Il en résulte qu'il convient, pour une cour d’appel, « de privilégier une approche progressive et modérée de l'irrecevabilité tirée du défaut de paiement du droit d'appel prévu à l'article 1635 bis P du code général des impôts » en se rapprochant « de la partie concernée pour recueillir ses observations et lui permettre, le cas échéant, de procéder à ce paiement » (M. Kébir, « Droit d’appel : respect du contradictoire en cas de défaut de paiement », Dalloz actualité, 13 juin 2017).
 
Cette position protectrice des principes fondamentaux de la procédure civile n’est pas nouvelle : dans un arrêt du 11 juillet 2013, la deuxième chambre de la Cour de cassation a jugé que le tribunal qui s'abstenait de recueillir les observations du demandeur sur la fin de non-recevoir relevée d'office pour cause de non-acquittement de la contribution pour l’aide juridique, au motif qu'il était représenté à l'audience par un avocat, alors que cette circonstance ne dispensait pas le juge d'observer le principe de la contradiction, violait les articles 62-5 (désormais abrogé) et 16 du code de procédure civile (2e Civ., 11 juillet 2013, pourvoi n° 13-10.184, Bull. 2013, II, n° 161 (cassation)).
La même analyse sera reprise un an plus tard par la même chambre dans un arrêt inédit : une ordonnance constatait l'irrecevabilité du recours pour non-acquittement de la contribution pour l'aide juridique, en retenant que le demandeur avait été mentionné comme absent, non représenté, mais convoqué.
 
Or pour la Cour de cassation, le fait d’avoir convoqué le demandeur à une audience ne dispense pas le juge de recueillir ses observations sur la fin de non-recevoir relevée d'office (2e Civ.,15 mai 2014, pourvoi n° 13-15.645 (cassation)).
 
 
  1. Rappel de la chronologie procédurale
Plus récemment encore, dans un arrêt du 28 septembre 2017, la Cour de cassation est venue rappeler l’importance du respect de la chronologie procédurale en matière de contestation d’une décision d’irrecevabilité rendue pour non-paiement du timbre fiscal.
 
Il a en effet été jugé qu’en cas « d'irrecevabilité de l'appel prononcée en application de l'article 963 du code de procédure civile, la décision peut être rapportée par le juge dans les conditions prévues par l'article 964 du même code, de sorte qu'un recours ne peut être exercé sans que la demande de rapport ait été préalablement formée » (2e Civ., 28 septembre 2017, pourvoi n° 16-18166, Bull. à paraître (irrecevabilité)). 
 
En d’autres termes, il est nécessaire de s'adresser d’abord au juge ayant rendu la décision d’irrecevabilité pour qu'il la rapporte puis, ensuite, de contester l'éventuelle décision de refus.
 
Plus précisément, l’arrêt du 28 septembre 2017 est rendu au double visa des articles 964 et 605 du code de procédure civile.
Selon l’article 964 du code de procédure civile, qui concerne le prononcé de l'irrecevabilité de l'appel en application de l'article 963, les magistrats peuvent statuer sans débat, « à moins que les parties aient été convoquées ou citées à comparaître à une audience »
Puis, « saisis dans un délai de quinze jours suivant leur décision, ils rapportent, en cas d'erreur, l'irrecevabilité, sans débat. Le délai de recours contre la décision d'irrecevabilité court à compter de la notification de la décision qui refuse de la rapporter ».
L’article 964 du code de procédure civile prévoit ensuite une procédure différente selon le magistrat qui a prononcé l’irrecevabilité et qui a refusé de la rapporter puisque :
  • si « la décision d’irrecevabilité est prononcée par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président ou le conseiller de la mise en état, elle peut faire l'objet d'un déféré, devant la cour d’appel dans les conditions prévues par les articles 916 » du code de procédure civile. Dans cette configuration, une requête doit être remise au greffe dans les quinze jours de la date de la décision puisqu’elle statue sur une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel, selon l’article 916 du code de procédure civile ;
  • si elle « émane du premier président, la décision peut faire l'objet du recours ouvert contre les décisions de la juridiction », c’est-à-dire, en théorie, d’un pourvoi en cassation. En effet, les ordonnances du premier président de la cour d’appel sont, hormis pour celles visées par l’article 525-2 du code de procédure civile, susceptibles d’être frappées d’un pourvoi puisqu’elles sont rendues en dernier ressort (article 605 du code de procédure civile), mettant dès lors fin à l’instance.
De fait, l’article 605 du code de procédure civile, visé par l’arrêt, dispose que « le pourvoi en cassation n'est ouvert qu'à l'encontre de jugements rendus en dernier ressort » : ce qui, combiné à la dernière phrase du septième alinéa de l’article 964 qui précise que « le délai de recours contre la décision d'irrecevabilité court à compter de la notification de la décision qui refuse de la rapporter », rendait tout pourvoi impossible, le rapport n’ayant pas été sollicité.  

 
En définitive, avec les précautions nécessaires à la systématisation juridique, s’il est possible de voir dans  l’arrêt du 11 mai, une volonté de modération concernant l’irrecevabilité de l’appel comme sanction du non-acquittement du timbre fiscal, il est également permis de voir, dans l’arrêt du 27 septembre, un rappel de la rigueur entourant cette exigence  procédurale.

Medi Abkari (stagiaire), Sophie Mahé et Denis Garreau