19 janvier 2017 - Exception de litispendance internationale : reconnaissance d’une décision de divorce prononcée à l’étranger par une autorité religieuse - C. Bauer-Violas et D. Archer

Par un important arrêt du 18 janvier 2017 reproduit à la fin de cet article (n° 16-11630, à par. au Bull. I), la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé que la circonstance qu’une décision étrangère de divorce soit prononcée par une autorité religieuse et non une juridiction civile ne faisait pas en elle-même obstacle à la reconnaissance, en France, de ladite décision, de sorte qu’il y a lieu d’accueillir l’exception de litispendance soulevée devant le juge français saisi d’une demande en divorce lorsque, auparavant, une autorité religieuse étrangère, en l’occurrence libanaise, a déjà été saisi d’une telle demande.
 
I - Aux termes de l’article 100 du code de procédure civile relatif à l’exception de litispendance :
« Si le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir au profit de l'autre si l'une des parties le demande. À défaut, elle peut le faire d'office ».
À l’instar de nombreuses règles relatives à la compétence des juridictions prévues dans le code de procédure civile en droit interne, l’article 100 du code de procédure civile a fait l’objet d’une extension à l’ordre international.
Ainsi, dans son important arrêt de principe « Miniera di Fragne » (1re Civ., 26 novembre 1974, n° 73-13820, Bull. 1974, I n° 312, B. Ancel et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, Dalloz, 5e éd., 2006, n° 54 ; Rev. crit. DIP 1975. 491, note D. Holleaux), la Cour de cassation a énoncé que :
« l'exception de litispendance peut (...) être reçue devant le juge français, en vertu du droit commun français, en raison d'une instance engagée devant un tribunal étranger également compétent ».
Elle a assorti toutefois, dans ce même arrêt, ce principe d’une limite en ajoutant que l’exception :
« ne saurait être accueillie lorsque la décision à intervenir à l’étranger n’est pas susceptible d’être reconnue en France » (v. not., depuis, parmi d’autres décisions: 1re Civ., 15 juin 1994, n° 92-22111, Bull. 1994, I n° 214 ; 1re Civ., 23 février 2011, n° 10-14101, Bull. 2011, I n° 33 ; Com., 19 février 2013, n° 11-28846, Bull. 2013, IV n° 27).
Il incombe donc au tribunal français d'exercer, dans la mesure du possible, un contrôle a priori sur l'instance qui se déroule à l'étranger, pour déterminer si le futur jugement étranger a quelque chance d'être efficace en France.
À cet effet, le juge doit appliquer les critères posés par la jurisprudence (le cas échéant combinés avec une convention internationale bilatérale) et issus en dernier lieu de l’arrêt Cornelissen (1re Civ., 20 février 2007, n° 05-14082, Bull. 2007, I n° 68) afin de déterminer l’efficacité, en France, des jugements étrangers.
On rappellera que dans cet important arrêt de principe, la Cour de cassation a ramené à trois le nombre de conditions requises pour accorder l’exequatur à une décision étrangère :
« pour accorder l'exequatur hors de toute convention internationale, le juge français doit s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure et l'absence de fraude à la loi ; que le juge de l'exequatur n'a donc pas à vérifier que la loi appliquée par le juge étranger est celle désignée par la règle de conflit de lois française ».
Pour écarter l’exception de litispendance, le juge français devra donc constater, lors de l’examen des conditions requises pour que le jugement étranger à venir puisse être reconnu en France, que l’une d’elles au moins fait défaut.
 
II - Dans la présente affaire, l’épouse avait saisi en premier lieu, au Liban, le juge Charite Jaafarite du conseil islamique chiite de Baada, instance religieuse, d’une demande de divorce. De retour en France, par la suite, elle avait saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Créteil d’une nouvelle demande de divorce contre son époux.
 Il était acquis aux débats que le couple en instance de divorce était de nationalité libanaise et de confession chiite et que les deux époux s’étaient mariés au Liban. En outre, il est constant que la loi libanaise confère compétence aux juridictions confessionnelles à l’égard des nationaux.
La compétence indirecte semblait donc bien établie en l’espèce. S’agissant de la fraude et de l’exception d’ordre public international, elles n’étaient pas invoquées.
Cependant, les juges du fond avaient fondé l’irrecevabilité de l’exception de litispendance internationale sur la circonstance qu’il n’existerait pas, au Liban, de juridiction civile statuant en matière de divorce et que s’agissant d’une juridiction religieuse, la décision du juge Charite Jaafarite du Conseil islamique Chiite de Baabda à intervenir ne serait pas susceptible d’être reconnue en France.
Par le présent arrêt, la Cour de cassation censure un tel raisonnement au visa de « l’article 100 du code de procédure civile, ensemble les principes régissant la litispendance internationale », en affirmant que la cour d’appel s’est prononcée par un motif impropre à justifier le rejet de l’exception de litispendance internationale
Ainsi, la compétence attribuée par la loi libanaise à une autorité religieuse pour prononcer, au Liban, le divorce de deux époux de nationalité libanaise et de religion chiite, mariés au Liban, n’est pas de nature à faire obstacle, à elle seule, à sa reconnaissance en France, et partant, à justifier que soit écartée l’exception de litispendance internationale à raison de la saisine de la juridiction libanaise en premier lieu.
 
Catherine Bauer-Violas et Delphine Archer
 
CIV. 1 CGA
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 18 janvier 2017
Cassation
Mme BATUT, président
Arrêt n°87 F-P+B
Pourvoi n° X 16-11.630
 
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE,
a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par M. A,
contre l'arrêt rendu le 27 novembre 2014 par la cour d'appel de Paris
(pôle 3, chambre 4), dans le litige l'opposant à Mme J, épouse
A., défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen
unique de cassation annexé au présent arrêt ;
 
Vu la communication faite au procureur général ;
 
LA COUR, en l'audience publique du 6 décembre 2016, où
étaient présents : Mme Batut, président, M. Acquaviva, conseiller rapporteur,
M. Matet, conseiller doyen, Mme Pecquenard, greffier de chambre ;
 
Sur le rapport de M. Acquaviva, conseiller, les observations de
la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat de M. Assaf,
l'avis de M. Bernard de La Gatinais, premier avocat général, et après en
avoir délibéré conformément à la loi ;
 
Sur le moyen unique :
 
Vu l’article 100 du code de procédure civile, ensemble les
principes régissant la litispendance internationale ;
 
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. A. et Mme J. tous
deux de nationalité libanaise et de confession chiite, se sont mariés au Liban
le 8 décembre 1988 ; que l’épouse a déposé, le 23 mars 2011, une requête
en divorce devant le juge aux affaires familiales ; que M. A. a soulevé,
devant le magistrat conciliateur, une exception de litispendance
internationale au profit de la juridiction libanaise religieuse saisie le
30 juin 2010 par Mme J. ;
Attendu que, pour rejeter l’exception, l’arrêt retient qu'il n'existe
pas au Liban de juridiction civile statuant en matière de divorce, et que la
décision du conseil islamique chiite ne peut être reconnue en France ;
Qu’en statuant ainsi, tout en constatant que les époux étaient
de statut personnel musulman chiite et que leur divorce relevait de la
juridiction de l’autorité religieuse, et alors que le litige se rattachait au juge
libanais premier saisi, la cour d’appel qui s’est prononcée par un motif
impropre à établir que la décision à intervenir n’était pas susceptible d’être
reconnue en France, a violé les texte et principes susvisés ;
 
PAR CES MOTIFS :
 
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt
rendu le 27 novembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se
trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour
d'appel de Paris, autrement composée ;
 
Condamne Mme J. aux dépens ;
 
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
 
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de
cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à
la suite de l'arrêt cassé ;
 
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre
civile, et prononcé par le président en son audience publique du
dix-huit janvier deux mille dix-sept.