18 novembre 2014 : Décret du 6 novembre 2014, la procédure de cassation évolue - Denis Garreau, Catherine Bauer-Violas, Olivia Feschotte-Desbois


Par un important décret (n° 2014-1338) en date du 6 novembre dernier et entré en vigueur le 9 novembre, la procédure applicable devant la Cour de cassation a été modifiée afin de résoudre certaines difficultés et d’améliorer son efficacité sur certains points.
On peut considérer que ce décret intervient sur trois questions :
  • Les décisions susceptibles de pourvoi.
  • Les principes du pourvoi en cassation.
  • La procédure de pourvoi.
 
I – Les décisions susceptibles de pourvoi.

A – Le sursis à statuer (art. 379 et 380 CPC – Incidents d’instance).
Simplifiant le régime de l’appel des décisions de sursis à statuer, qui doit être autorisé par le premier président de la cour d’appel, le nouvel article 380 précise expressément que la décision par laquelle le premier président autorise l’appel et fixe la date de son examen par la cour, n’est pas susceptible de pourvoi.

B – Le régime de l’exécution provisoire en appel (art. 523 et s. CPC – Exécution du jugement).
Après avoir toiletté certaines dispositions relatives aux pouvoirs du premier président ou du magistrat chargé de la mise en état, le décret introduit un nouvel article 525-2 qui précise que le premier président saisi d’une demande de suspension de l’exécution provisoire (524) ou d’une demande d’exécution provisoire (525 et 525-1), statue par une décision non susceptible de pourvoi.

C – Les arrêts statuant sur la compétence.
Si l’on excepte les arrêts statuant sur contredit, qui sont susceptibles de pourvoi (80 et 87 CPC),  selon la jurisprudence, dans le cas où la juridiction du second degré, saisie par la voie de l’appel, avait retenu sa compétence et renvoyé les parties à conclure sur le fond, l’arrêt, qui n’avait pas mis fin à l’instance, ne pouvait faire l’objet d’un pourvoi immédiat par application des articles 606, 607 et 608 qui, pour simplifier, interdisent le pourvoi en cassation contre les décisions qui ne tranchent pas le principal, au moins pour partie, et qui ne mettent pas fin à l’instance ; le pourvoi  devait être différé jusqu’à l’arrêt rendu sur le fond (1e Civ., 25 mai 1982, pourvois n° 80-16.766 et 80-17.267, Bull. 1982, I, n°185).
Dorénavant, en application d’un nouvel article 607-1, il est prévu qu’un pourvoi puisse être formé contre l’arrêt par lequel la cour d’appel se prononce sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, qu’elle reconnaisse donc sa compétence ou, au contraire, la rejette.

D – Les jugements et arrêts avant-dire droit.
En application de l’article 608, ces décisions étaient insusceptibles de pourvoi immédiat mais pouvaient l’être avec le jugement ou l’arrêt rendu sur le fond. Le délai de pourvoi contre ces décisions était donc aligné sur le délai de pourvoi contre le jugement ou l’arrêt rendu sur le fond, ce qui pouvait poser des difficultés dans le cas où, pour des raisons d’urgence à former le pourvoi ou de complexité de l’affaire, la nécessité de critiquer  également une précédente décision avant-dire droit n’apparaissait qu’après le dépôt du pourvoi, au cours de l’instruction.
La modification apportée à l’article 608 résout cette difficulté en prévoyant que le délai de pourvoi contre la décision avant-dire droit est prorogé jusqu’à l’expiration du délai imparti pour le dépôt du mémoire ampliatif à l’appui du pourvoi formé contre la décision rendue au fond (en principe, 4 mois à compter du pourvoi).
 
II – Les principes du pourvoi en cassation.

A – L’exigence d’une signification de l’arrêt attaqué.
Auparavant, l’article 611-1 CPC imposait, à peine d’irrecevabilité, que l’arrêt attaqué soit signifié au plus tard dans le délai de dépôt du mémoire ampliatif (en principe, 4 mois à compter du pourvoi) et l’article 979 imposait la production au greffe de la Cour de cassation dans ce même délai, de l’acte de signification.
Cette formalité est maintenant supprimée, c’est-à-dire qu’il n’est plus nécessaire de faire signifier l’arrêt pour pouvoir former un pourvoi.
Mais la signification de l’arrêt à partie reste évidemment nécessaire pour faire courir le délai de pourvoi de 2 mois (sachant que l’article 528-1 impose que cette signification intervienne dans le délai de 2 ans à compter du prononcé de la décision) et pour pouvoir solliciter la radiation du rôle faute d’exécution en application de l’article 1009-1 du CPC.

B – La délicate question du pourvoi contre les décisions rendues par défaut.
Ambigus, les termes de l’article 613 CPC pouvaient être interprétés en ce sens que l’arrêt rendu par défaut et encore susceptible d’opposition ne pouvait faire l’objet d’aucun pourvoi, même de la part des parties non défaillantes. C’est ce que jugeait encore récemment la Deuxième chambre civile dans un arrêt du 4 septembre 2014 (n° 13-16703 et 13-24429, publié au Bulletin ; cf. note Olivia Feschotte-Desbois 26 septembre 2014 sur le site du Cabinet) :
« Attendu qu'il résulte de ce texte que le délai de pourvoi en cassation ne court à l'égard des décisions rendues par défaut, même pour les parties qui ont comparu devant les juges du fond, qu'à compter du jour où l'opposition n'est plus recevable »
Les difficultés posées par cette interprétation, notamment la fréquente réitération des pourvois pour en assurer la recevabilité, ont conduit le pouvoir réglementaire à préciser que
« à l’égard des décisions par défaut, le pourvoi ne peut être formé par la partie défaillante qu’à compter du jour où son opposition n’est plus recevable »,
ce qui autorise le pourvoi immédiat des parties comparantes.

C – Le pourvoi contre les décisions ayant statué ultra petita.
Auparavant, l’article 616 excluait le pourvoi en cas d’omission de statuer (463) et d’ultra petita (464) en renvoyant la réfection de ces vices à la procédure de rectification prévue par l’article 463.
Mais, dans la pratique, l’ultra petita pouvait également être sanctionné par la Cour de cassation comme méconnaissance des termes du litige et violation de l’article 4 du CPC.
Le nouvel article 616 met la règle écrite en harmonie avec la jurisprudence en permettant l’usage du pourvoi en cassation contre les décisions ayant statué ultra petita, sachant que la voie de la requête en rectification de l’article 463 ne semble pas être fermée pour autant puisque subsiste l’article 464.

D – La portée des arrêts de cassation.
Deux problèmes, d’inégale importance, se posaient :
Tout d’abord, problème mineur mais posant des difficultés pratiques, la Cour de cassation ne prononçait pas les mises hors de cause du pourvoi dans le dispositif de son arrêt de cassation, mais seulement dans ses motifs de sorte que fréquemment, ces parties mises hors de cause se retrouvaient à nouveau attraites devant le juge de renvoi et cela en vertu de l’autorité reconnue au seul dispositif de l’arrêt de cassation (cf. infra).
Dorénavant, la Cour de cassation, à condition qu’elle en soit requise, pourra prononcer cette mise hors de cause dans son dispositif, ce qui simplifiera l’appréciation de la portée de la cassation.
Surtout que, problème majeur, la portée de la cassation prononcée était définie par référence à la portée du moyen accueilli par la Cour de cassation, ce qui n’allait pas sans de nombreuses difficultés.
Le décret remet la règle en conformité avec la jurisprudence (2e Civ., 28 mai 1990, pourvoi n° 89-14.349, Bull. 1990, II, n° 115 ; 2e Civ., 3 février 2000, pourvoi n° 98-13.718, Bull. 2000, II, n° 22) en prévoyant que la portée de la cassation, c’est-à-dire l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de cassation, est déterminée exclusivement par le dispositif de l’arrêt de cassation.
 
III - La procédure de pourvoi.

Si l’on met à part certaines modifications d’ordre très pratique (mentions de la déclaration de pourvoi : 975 et 985 CPC, délai de signification du mémoire ampliatif aux parties non tenues de constituer un avocat devant la Cour de cassation : 978 CPC, forme et délai du pourvoi additionnel prévu l’article 608 : 978 CPC), le décret apporte des modifications intéressantes sur plusieurs points :

A – La procédure de radiation du rôle : 1009-1 CPC.
Tout d’abord, le nouvel article 1009-1 reprend la jurisprudence qui admettait que la demande de radiation interrompt le délai de dépôt du mémoire en défense.
Mais ensuite, le décret met fin à toute discussion sur la question de savoir si la radiation du rôle du pourvoi principal interdisait ou non l’examen du ou des pourvois incidents. La réponse est très claire : la radiation « interdit l’examen des pourvois principaux et incidents ».

B – Le prononcé des non-admissions par la formation restreinte.
L’article 1014 est modifié en des termes qui ne manquent pas de susciter une certaine perplexité.
L’ancienne rédaction était la suivante :
« Après le dépôt des mémoires, cette formation (formation restreinte) déclare non admis les pourvois irrecevables ou non fondés sur un moyen sérieux de cassation ».
 Le nouvel article 1014 est le suivant :
« Après le dépôt des mémoires, cette formation décide qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée lorsque le pourvoi est irrecevable ou lorsqu'il n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Toute formation peut aussi décider de ne pas répondre de façon spécialement motivée à un ou plusieurs moyens irrecevables ou qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ».
De ce nouveau texte, on peut tirer des enseignements mais aussi des questions :
D’une part, le texte consacre l’absence de motivation des décisions de non-admission totale et partielle, pratique prétorienne antérieure validée par la CEDH (arrêt Burg et autres c. France, 28 janvier 2003, requête n° 34763/02 ; rappr. arrêt Gorou c. Grèce, 20 mars 2009, requête n° 12686/03).
D’autre part, le second alinéa du nouvel article 1014 consacre la pratique également prétorienne de la non-admission partielle d’un pourvoi en ce qu’elle vise certains moyens seulement, l’arrêt étant par ailleurs motivé sur l’autre ou les autres moyens.
Mais enfin, le nouveau texte ne retient plus comme critère de la non-admission l’absence de « moyen sérieux de cassation » mais substitue à ce critère celui tiré du pourvoi ou du moyen qui ne sont « manifestement pas de nature à entraîner la cassation ». La question se pose de savoir si cette nouvelle rédaction vise à restreindre, à élargir les cas de non-admission ou, plus simplement, à consacrer la pratique actuelle.

C – Le principe du contradictoire et la cassation sans renvoi.
L’article 1015 obligeait déjà la Cour de cassation, qui envisageait de relever des moyens d’office, et notamment une substitution de motifs pour rejeter le pourvoi, à soumettre cette perspective au contradictoire.
Le nouveau texte étend cette obligation à l’hypothèse dans laquelle la Cour de cassation envisage, d’office, de casser sans renvoi dans les cas prévus à l’article L 411-3 du code de l’organisation judiciaire.
Cette innovation est la bienvenue car elle permettra aux parties de s’expliquer sur la réunion des conditions posées par cette disposition et, le cas échéant, sur le règlement du litige au fond par la Cour de cassation elle-même.

D – Enfin, pour mémoire, le décret du 6 novembre 2014 introduit une section III dans le chapitre III relatif au pourvoi en cassation consacrée au pourvoi du procureur général près la cour de cassation, pourvoi dit dans l’intérêt de la loi.
 
IV – Entrée en vigueur.

Ce décret est entré en vigueur le 9 novembre 2014. Il s’applique donc aux pourvois formés à compter de cette date. Certaines de ces dispositions peuvent également s’appliquer aux pourvois déjà introduits, puisque les textes de procédure sont normalement applicables aux procédures en cours dans leurs développements à venir.
 
Denis Garreau, Catherine Bauer-Violas et Olivia Feschotte-Desbois