Par un arrêt du 22 février 2017 (n°
395184, mentionné aux Tables), le Conseil d’Etat s’est prononcé, pour la première fois à notre connaissance, sur la question précise de savoir si l'erreur, dans la notification d'un
jugement rendu par un tribunal administratif, quant à la nature de la voie de recours ouverte contre cette décision, faisait obstacle au déclenchement du délai d'exercice de la voie de recours appropriée.
La présente affaire
Par un
jugement rendu le 14 janvier 2014, le tribunal administratif de Rennes avait annulé une décision de non-opposition à une déclaration de travaux déposée par le requérant. Il lui avait été notifié le lendemain, avec la précision qu’il n’était susceptible que de
pourvoi en cassation.
Cette mention correspondait à l’état du droit en vigueur jusqu’au 31 décembre 2013. Mais à partir du 1
er janvier 2014, le contentieux des déclarations de travaux est redevenu susceptible d’appel en application du décret n° 2013-730 du 13 août 2013 (l'article R. 811-1 du code de justice administrative ne mentionnant plus, parmi la liste des contentieux pour lesquels le tribunal administratif statue
en premier et dernier ressort, ceux relatifs aux déclarations de travaux).
Le 26 décembre 2014, il a été interjeté appel du
jugement du 14 janvier 2014 devant la cour administrative d’appel de Nantes. Celui-ci a été rejeté pour tardiveté, le juge d’appel estimant que :
«
l'erreur commise dans la notification du jugement quant à l'indication de la nature de la voie de recours susceptible d'être utilement exercée n'était pas de nature à différer le point de départ du délai de recours contentieux dès lors, d'une part, que la notification du jugement attaqué comportait l'indication des délais de recours et, d'autre part, que les dispositions de l'article R. 351-1 du code de justice administrative permettent au Conseil d'Etat, au cas où il est saisi d'un pourvoi dans une matière qui relève de l'appel, d'attribuer le jugement de l'affaire à la cour administrative d'appel compétente ».
Cependant, pour le Conseil d’État, en rejetant ce recours pour tardiveté,
«
alors que l’indication dans la notification du jugement attaqué de la voie de recours particulière que constitue le recours en cassation était susceptible d’exercer une influence sur l’appréciation de la requérante quant à l’opportunité de contester le jugement, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ».
Les précédents
Le Conseil d’Etat avait déjà eu à connaître de l’hypothèse inverse, où il a eu l’occasion de rendre une décision très importante en posant le principe selon lequel :
«
le requérant qui, par suite des indications erronées portées sur la notification d'un jugement rendu en premier et dernier ressort, a formé dans le délai d'appel un appel motivé devant la cour administrative d'appel, doit être regardé comme ayant formé un pourvoi en cassation motivé contre ce jugement et est recevable à développer devant le Conseil d'Etat jusqu'à la clôture de l'instruction tout moyen de cassation ; qu'il en est de même lorsqu'une cour administrative d'appel ayant, à tort, statué sur un appel, présenté dans le délai et motivé, d'un jugement rendu en premier et dernier ressort, qu'elle aurait dû transmettre au Conseil d'Etat, ce dernier, après avoir annulé l'arrêt, statue comme juge de cassation sur le jugement » (
CE, 30 avril 2009, Bouvier d'Yvoire, n° 316389, publié au Rec.)
Par ailleurs, le Conseil d’Etat s’est, à plusieurs reprises, penché sur le cas des
délais erronés mentionnés dans les notifications
A cet égard, lorsque le délai est inférieur à celui de droit commun, mais que la notification mentionne le délai de droit commun, c’est celui-ci qui est alors applicable.
Cette solution résulte de l’article R. 811-3 du code de justice administrative, aux termes duquel : «
Le défaut de mention, dans la notification du jugement, d’un délai d’appel inférieur à deux mois emporte application du délai de deux mois ».
A titre d’exemple, en matière fiscale, à propos d’une notification erronée indiquant que la requérante disposait d’un délai de deux mois pour se pourvoir devant la cour administrative d’appel de Lyon contre la décision en cause, il a été jugé que :
«
cette notification erronée n’a pu faire courir le délai spécial de huit jours prévu au 4ème alinéa de l’article L.279 du livre des procédures fiscales mais seulement le délai d’appel de droit commun de deux mois » (
CE, 26 mars 1993, n° 117557, publié au Rec.)
Quant à l’exigence de mention des voies de recours, elle résulte implicitement de l'article R. 751-5 du CJA, relatif à la notification du
jugement, qui dispose que :
«
La notification de la décision mentionne que copie de la décision doit être jointe à la requête d'appel ou au pourvoi en cassation.
Lorsque la décision rendue relève de la cour administrative d'appel et, sauf lorsqu'une disposition particulière a prévu une dispense de ministère d'avocat en appel, la notification mentionne que l'appel ne peut être présenté que par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2.
Lorsque la décision est rendue en dernier ressort, la notification mentionne, s'il y a lieu, que le pourvoi en cassation devant le Conseil d'État ne peut être présenté que par le ministère d'un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation ».
Par cet du 22 février 2017, le Conseil d’Etat prend donc clairement position sur l’incidence d’une mention erronée dans la notification de
jugement quant à la nature de la voie de recours ouverte : le délai est alors inopposable à l’intéressé qui, découvrant son erreur, saisirait tardivement la
juridiction d’appel devant connaître de son recours.
Selon le Conseil d’Etat, cette solution se justifie par le fait que la mention erronée avait en l’occurrence exercé une influence sur le choix de l’intéressé d’exercer un recours. Etait donc en cause son droit d’accès au juge.
Ainsi, la solution se justifie par la différence de nature entre le pourvoi en cassation et l’appel.
Une décision justifiée par la différence de nature entre l’appel et le pourvoi en cassation
- L'appel remplit deux fonctions : en premier lieu, le contrôle de la régularité des jugements, c'est-à-dire des vices éventuels de procédure et de forme qui entachent les décisions ; en second lieu, l'appel remplit une fonction de réformation, destinée à assurer un nouvel examen et un nouveau
jugement des litiges.
Le juge d'appel se trouve saisi de l'ensemble des questions dont ont eu à connaître les premiers juges, et se prononce sur le bien-fondé des réponses apportées par ces derniers. Il est notamment saisi de tous les moyens invoqués en première instance «
à l'exception de ceux qui ont été expressément rejetés par le jugement attaqué et qui ne sont pas repris en appel » (CE, 28 janvier 1987, n°
39146,
Association Comité de défense des espaces verts, publié au Rec. Lebon).
- La fonction du
pourvoi en cassation est, quant à elle, d'assurer la conformité des jugements au droit et ainsi l'unité dans l'interprétation et dans l'application du droit sur le territoire national.
Pour reprendre la formule de Laferrière, «
Le juge de cassation n'est pas appelé à juger les procès, mais seulement à se prononcer sur la légalité des décisions qui les jugent » (E. Laferrière, Traité de la
juridiction administrative et des recours contentieux, t. 2, Berger-Levrault, 1896, 2
e éd., p. 589).
Ainsi, le Conseil d’Etat, saisi dans le cadre d’un pourvoi, n’a pas vocation à constituer un degré supplémentaire de
juridiction. Il en résulte que les moyens pouvant être utilement invoqués et susceptibles de prospérer à ce stade sont propres à cette voie de recours extraordinaire et ne se confondent pas avec ceux qui auraient pu l'être dans le cadre d'une instance d'appel.
C'est le cas, par exemple, s'agissant des moyens tirés de l'erreur de
qualification juridique des faits, lorsque des questions relèvent de l'appréciation souveraine des
juges du fond et ne sont donc pas susceptibles d'être discutées devant le juge de cassation, sauf dénaturation des faits.
Cette différence radicale entre l'appel et la cassation se manifeste encore par la procédure d'admission dont font l'objet les pourvois en cassation devant le Conseil d'Etat en application de l'article L. 822-1 du CJA, qui peut aboutir à ne pas admettre le pourvoi s'il est irrecevable ou s'il n'est fondé sur aucun moyen sérieux.
En définitive, la solution est pleinement justifiée eu égard à la différence de nature de ces voies de recours que sont, d’un côté, l’appel, et de l’autre, le
pourvoi en cassation.
Retenir, à l’instar de la cour administrative d’appel, une solution inverse, conduisait à entraver l’accès du justiciable au juge.
Delphine Archer et
Denis Garreau