Le Conseil d’Etat renvoie au Tribunal des conflits le soin de décider l’ordre de juridiction compétent pour statuer sur les demandes d’expulsion de logements universitaires gérés par les CROUS mais n'appartenant pas au domaine public.
Par une décision du 18 octobre 2017 (
CE, 18 octobre 2017, Centre régional des œuvres universitaires et scolaires de Paris, req. n° 408006), le Conseil d’Etat a décidé de renvoyer au
Tribunal des Conflits la question de savoir quel est l'ordre de
juridiction compétent pour ordonner l’expulsion de l’occupant sans titre d’un logement situé dans une résidence universitaire gérée par le CROUS de Paris, établissement public à caractère administratif, alors que la résidence n'appartient pas à une personne publique et ne peut être qualifiée de dépendance du domaine public.
Les faits sont les suivants. La ville de Paris a mis à disposition d’une société d’économie mixte (personne privée à capital majoritairement public), par un bail emphytéotique administratif, un terrain sur lequel la société était chargée de bâtir une résidence, la ville de Paris ne devenant pleinement propriétaire des immeubles bâtis qu’à l’issue du contrat de bail. L’immeuble achevé, une convention de location et gestion a été conclue entre la société et le CROUS de Paris. Il existe ainsi une relation tripartite entre la ville de Paris, la SEM, qui dispose de droits réels sur les immeubles bâtis jusqu’à la fin du bail emphytéotique, et le CROUS de Paris, gestionnaire du service public du logement des étudiants.
Dans le cadre de la gestion du service public, le CROUS de Paris conclut avec des étudiants des contrats d'occupation temporaire des logements universitaires meublés. Ces contrats sont conclus pour une durée maximale d'une année et peuvent être renouvelés si les étudiants remplissent les conditions nécessaires pour bénéficier 'une réadmission. L’un de ces étudiants s’est maintenu dans le logement qu’il occupait, bien qu’il n’ait pas été réadmis pour la nouvelle année universitaire. Le CROUS de Paris a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, l’expulsion de cet étudiant, occupant sans droit ni titre d’un logement au sein de la résidence universitaire, et une injonction de quitter les lieux dans un délai de 8 jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir.
Par une ordonnance du 25 janvier 2017, le tribunal, statuant par une formation composée de trois juges des référés, a rejeté cette requête comme «
portée devant une juridiction incompétente pour en connaître » pour deux motifs. Il a considéré, d’une part, que l’immeuble, propriété de la société d’économie mixte, était une propriété privée et qu’en conséquence l’étudiant ne pouvait être regardé comme un occupant sans titre du domaine public. Le tribunal a retenu, d’autre part, que le litige était «
manifestement insusceptible de relever de la compétence de la juridiction administrative, alors même que le contrat d’occupation temporaire conclu par le CROUS de Paris avec l’intéressé aurait eu le caractère d’un contrat de droit public et que l’expulsion serait nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du service public ».
Sur pourvoi du CROUS de Paris, par une décision du 18 octobre 2017, le Conseil d’Etat a considéré que le litige soulevait une question sérieuse de compétence, qu’il a transmise au
Tribunal des conflits.
Les immeubles gérés par les CROUS peuvent, lorsqu'ils ne lui appartiennent pas, être détenus par des personnes publiques ou par des personnes morales de droit privé, qui en sont propriétaires ou les ont construites en vertu de baux à construction ou de baux emphytéotiques administratifs.
Le contentieux de l’expulsion se trouve ainsi éclaté. En effet, le juge judiciaire est compétent pour connaître des demandes d’expulsion d’un occupant sans titre d’un bien immobilier appartenant à une personne privée, telle, comme dans l'arrêt commenté, une société d'économie mixte liée par un bail emphytéotique administratif consenti par la ville de Paris, la société d'économie mixte exerçant, pendant la durée du bail, les droits du propriétaire ; le juge judiciaire est également compétent pour connaître des demandes d’expulsion d’un occupant sans titre d’immeubles relevant du domaine privé d’une personne publique, sauf lorsque le contrat en cours, relatif à l’occupation de l’immeuble, est administratif (CE, 12 décembre 2003, Commune du Lamentin, n°
256561, aux Tables). En revanche, le juge administratif est compétent pour connaître des demandes d’expulsion d’un occupant sans titre d’immeubles relevant du domaine public.
La détermination, par les CROUS, du juge compétent pour ordonner l’expulsion d’un étudiant se maintenant sans titre les oblige à s'interroger sur la situation particulière de chaque résidence gérée au regard des différents montages juridiques existants, souvent complexes, alors même que les demandes d'expulsion sont formées par les CROUS, comme le relève le Conseil d'Etat, «
en vue d'assurer le fonctionnement normal et la continuité du service public administratif dont ils ont la charge.»
C'est cette dernière considération qui justifie que le Conseil d'Etat fasse application de l'article 35 du décret du 27 février 2015 et renvoie au
Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence en jeu.
Si la bonne administration de la justice semble commander l’unification du contentieux des expulsions devant un seul ordre de
juridiction, reste à savoir au profit de quel ordre de
juridiction cette unification s’effectuera.
Nous vous tiendrons informés de la décision finalement prise par le
Tribunal des conflits.
Olivia Feschotte-Desbois,
Etienne Aubry et Antonin Gras (stagiaire)