On le sait, l'article L 551-1 du code de justice administrative prévoit que le juge du référé précontractuel ne peut être saisi que de certains manquements commis par le pouvoir adjudicateur dans le cadre de procédures d’attribution de contrats administratifs qui y sont soumis. Ce juge n'a donc pas vocation à constater et sanctionner toutes les illégalités pouvant entacher la passation et la conclusion d'un de ces contrats mais seulement celles pouvant être regardées comme des
« manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence ». En effet, le recours précontractuel vise à assurer l'effectivité des règles communautaires de passation de ces contrats en permettant à un concurrent évincé de contester l'attribution d'un contrat intervenue dans des conditions contraires à ces règles de transparence, publicité, et de mise en concurrence. C'est également la raison pour laquelle les concurrents évincés ne peuvent, dans le cadre d'un référé précontractuel, invoquer que des manquements susceptibles de les avoir lésés (
CE, Section, 3 octobre 2008, smirgeomes, publié au recueil).
Ne visant pas à restaurer la légalité, ce recours se distingue donc de celui, dont disposent les concurrents évincés, en contestation de la validité du contrat, dont l’objet est plus large.
Certes, cette distinction a récemment été altérée par la
« smirgeomisation » du recours « Tropic » devenu « Tarn-et-Garonne » : dans ce cadre, les tiers, y compris les concurrents évincés, ne peuvent désormais plus invoquer toute illégalité mais seulement celles en rapport avec l’intérêt qu’ils entendent défendre. Mais s’il est limité par l’identité de l’auteur du recours et la lésion qui peut en résulter pour lui, le champ des règles dont la violation peut être invoquée n’en est pas moins illimité : droit de l’environnement pour une association ayant pour objet sa protection, règles relatives à la mise en concurrence pour un concurrent évincé, règles relatives à l’information des conseillers municipaux sur les conséquences financières de la passation d’une DSP pour un contribuable local …
À l'inverse, seul un « manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence » peut justifier l’intervention du juge du référé précontractuel avant même la signature du contrat.
Encore faut-il s'entendre sur cette notion.
Si certaines violations des règles de passation telles que le défaut de publicité de critères de sélection des offres ou l’utilisation de critères discriminatoires apparaissent de façon évidente comme de tels manquements, pour d’autres vices, la solution ne s’impose pas – et a pu même évoluer. Ainsi, la violation du principe de spécialité d’un établissement public, a, dans un premier temps, été regardée comme ne pouvant être sanctionnée par le juge des référés précontractuels (
CE, 21 juin 2000, Syndicat intercommunal de la Côte d’Amour et de la presqu’île guérandaise, publié au recueil, p. 283 ;
CE, 16 octobre 2000, compagnie méditerranéenne d’exploitation des services d’eau, req. n° 212054, Rec. p. 422) avant que cette solution ne soit récemment modifiée (
CE, 18 septembre 2015, Association de gestion du conservatoire nationale des arts et métiers des Pays de la Loire et autres, req. n° 390041, mentionné aux tables).
S’agissant de l’appréciation des offres par le pouvoir adjudicateur, le Conseil d’Etat a très tôt jugé qu’il n’appartenait pas au juge du référé précontractuel «
d'examiner l'appréciation portée […]
à l'issue de la consultation sur les mérites respectifs de chacun des candidats » (
CE, 29 juillet 1998, Syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération clermontoise et Société Spie Batignolles et ANF Industrie, req. n° 194412 et n° 194418, aux Tables ;
CE, 25 juillet 2001, Syndicat des eaux de l'IFFERNET, req. n° 231319, aux Tables ; CE, 22 octobre 2014, Société EBM Thermique c. Commune de Saint-Louis, req. n°
382495 et 382597).
En revanche, l’office du juge du référé précontractuel saisi d’une contestation relative à l’appréciation portée par le pouvoir adjudicateur sur la teneur même d’une offre n’était pas précisé.
Le Conseil d’Etat a, dans une décision récente, procédé à une clarification salutaire sur ce point (
CE, 20 janvier 2016, CIVIS, req. n° 394133, mentionné aux tables).
Il a d’abord précisé que si le juge du référé précontractuel ne pouvait se prononcer sur les mérites respectifs des offres, il ne pouvait pas plus contrôler
« l’appréciation portée sur la valeur d’une offre ».
Il a aussitôt ajouté un tempérament à cette limite :
« il lui appartient, en revanche, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n’a pas dénaturé le contenu d’une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l’attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d’égalité de traitement des candidats ».
En d’autres termes, le juge du référé précontractuel n’a pas à examiner la qualité de la notation effectuée par le pouvoir adjudicateur sur une offre ; en revanche, il doit s’assurer, lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, de ce que cette notation ne résulte pas d’une mésinterprétation évidente du contenu même de l’offre du candidat. Le Conseil d’Etat considère en effet que dans une telle hypothèse, le principe d’égalité de traitement des candidats est méconnu – ce qui est logique, puisque l’examen des offres, fondé sur une méprise, a pu conduire à un net désavantage pour l’un des candidats. Encore faudra-t-il à ce dernier démontrer que cette dénaturation a conduit à une notation totalement inadaptée susceptible de l’avoir lésé.
Ainsi, seule une erreur grossière sur le contenu d’une offre, ayant eu des conséquences sensibles sur son appréciation, et sa notation, pourrait conduire à l’annulation d’une procédure dans le cadre d’un référé précontractuel. L’hypothèse apparaît ainsi nettement limitée.
Les autres manquements relatifs à l’appréciation de l’offre d’un candidat ne pourront donc qu’être invoqués dans le cadre d’un recours en contestation de la validité du contrat, après signature.
Marie-Paule Melka et
Denis Garreau