L’arrêt rendu par le Conseil d’Etat le 22 octobre 2018 (
CE, 22 octobre 2018, n° 406746, aux Tables) a permis à la haute
juridiction de préciser la nature du contrôle des actes administratifs au regard des objectifs des directives irrégulièrement transposées en droit interne.
En vue de l’édification d’éoliennes, le préfet de la région Picardie avait accordé plusieurs permis de construire contre lesquels des particuliers s’étaient élevés, et avaient intenté des recours contentieux.
Ayant vu leurs conclusions aux fins d’annulation aboutir en première instance, mais rejetées par les juges du second degré, les requérants s’étaient pourvus en cassation contre l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Douai.
Ils avançaient notamment que les arrêtés attaqués avaient été pris en méconnaissance des dispositions de la directive 85/337/CEE du 27 juin 1985 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement.
Cette directive prévoyait une étude d’impact obligatoire pour les autorisations des projets susceptibles d’entrainer des conséquences environnementales notables.
Son article 6§1, dans sa rédaction issue de la directive 97/11/CE du Conseil du 3 mars 1997, disposait que :
«
Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les autorités susceptibles d'être concernées par le projet, en raison de leurs responsabilités spécifiques en matière d'environnement, aient la possibilité de donner leur avis sur les informations fournies par le maître d'ouvrage et sur la demande d'autorisation. À cet effet, les États membres désignent les autorités à consulter, d'une manière générale ou cas par cas. Celles-ci reçoivent les informations recueillies en vertu de l'article 5. Les modalités de cette consultation sont fixées par les États membres ».
Après avoir rappelé qu’en raison de leur imprécision, ces dispositions étaient dépourvues d’effet direct, et n’étaient donc pas directement invocables par les plaideurs, le Conseil d’Etat s’est penché sur la question de leur transposition en droit interne.
La directive en question avait été transposée aux articles L. 122- 1 et R. 122-1-1 du code de l'environnement, lesquels, dans leur rédaction applicable au litige, disposaient que:
«
Les projets de travaux, d'ouvrages ou d'aménagements publics et privés qui, par leur nature, leurs dimensions ou leur localisation sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine sont précédés d'une étude d'impact.
Ces projets sont soumis à étude d'impact en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d'entre eux, après un examen au cas par cas effectué par l'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement.
(…)
L'autorité administrative de l'Etat compétente en matière d'environnement mentionnée à l'article L. 122-1 est le préfet de la région sur le territoire de laquelle le projet de travaux, d'ouvrage ou d'aménagement doit être réalisé »
Toutefois, le Conseil d’Etat a relevé que cette transposition était erronée, en raison de son incompatibilité avec les objectifs fixés par la directive.
En effet, la haute
juridiction a considéré que, dans la mesure où l’étude d’impact prévue pour les projets potentiellement dangereux pour l’environnement était confiée à une autorité susceptible de délivrer elle-même les autorisations d’urbanismes,
le pouvoir réglementaire aurait du, pour satisfaire les objectifs de la directive, prévoir un dispositif propre à garantir l’impartialité de l’avis rendu (cf. dans un autre domaine : CE 29 avril 2015, n°
379574, mentionné aux Tables).
L’arrêt du 22 octobre 2018 poursuit en consacrant le contrôle
in concreto des actes administratifs au regard des objectifs d’une directive irrégulièrement transposée :
«
Toutefois, la cour ne pouvait déduire de cette illégalité celle des arrêtés attaqués sans rechercher, ainsi qu'elle l'a fait, si, dans l'espèce qui lui était soumise, l'avis tel qu'il avait été rendu répondait ou non aux objectifs de la directive ».
Le Conseil d’Etat a jugé que la cour avait correctement exercé son contrôle en relevant par une appréciation souveraine que l’avis, tel qu’il avait été rendu en l’espèce, répondait aux objectifs de la directive et ne présentait donc pas de caractère partial.
L’irrégularité de l’avis donnée par une autorité normalement incompétente pour ce faire à raison de son absence d’impartialité, peut donc être neutralisée par la vérification juridictionnelle de ce que, nonobstant cette irrégularité, l’avis répondait aux objectifs fixés par la directive.
Denis Garreau et David Gravier (Stagiaire)