Par une ordonnance en date du 17 avril 2015 (n°389093), M. Guyomar, juge des référés au Conseil d’Etat, a, sur le fondement de l’article L 521-1 du CJA, suspendu l’exécution d’une décision de sanction l’Autorité des marchés financiers (AMF) infligeant des amendes à une société et à ses dirigeants, et à titre complémentaire, imposant la publication non anonymisée de ces sanctions sur le site de l’AMF.
Si le Conseil d’Etat suspend parfois des décisions de sanction de l’AMF (8 décisions suspendues sur 26 recours introduits depuis la création de l’AMF pour les décisions figurant sur Legifrance), ces suspensions sont généralement partielles, le Conseil d’Etat réduisant provisoirement la sanction (en limitant le montant d’une amende, par exemple).
Tel n’est pas le cas de cette ordonnance qui suspend, jusqu’à la décision au fond, l’exécution de la sanction dans sa totalité.
Pour parvenir à une telle solution le juge des référés a d'abord apprécié l’urgence à suspendre la décision attaquée au regard des effets que la décision de sanction, elle-même, ainsi que sa publication, avaient généré pour la société, à savoir l’annonce par certains de ses clients importants du retrait de leurs investissements.
Dans un secteur d’activité fondée sur un principe de confiance, cette atteinte à la réputation et ses conséquences financières immédiates pour la société, ont permis de qualifier l’urgence requise par l’article L 521-1 CJA.
C’est donc une approche extrêmement concrète et réaliste des effets de la décision de sanction qu’a retenue le juge des référés.
Ensuite, même si les deux conditions posées par l’article L 521-1 du code de justice administrative font l’objet d’une appréciation distincte, la nature du moyen retenu comme étant de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée a évidemment contribué à justifier la suspension de l’ordonnance dans sa totalité.
Il était notamment soutenu, au visa de l’article 34 de la Constitution, que le contrôle effectué par les agents de l’AMF, qui avait débuté par une visite inopinée dans les locaux de la société le 9 février 2012 au cours de laquelle avait été effectuée la copie de l’ensemble des messageries professionnelles des dirigeants et salariés de la société, ne disposait, à cette date, d’aucune assise législative qui seule aurait pu légalement reconnaitre de tels pouvoirs aux contrôleurs. En effet, si la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 avait repris les pouvoirs conférés aux enquêteurs de la Commission des Opérations de la Bourse au profit de ceux de l’AMF, elle n’avait, en revanche, pas repris ceux conférés auparavant aux contrôleurs du Conseil des Marchés Financiers au profit de ceux de l’AMF : ainsi, à la date des contrôles, aucune loi n’autorisait les contrôleurs à procéder à de telles visites et saisies. En revanche, le règlement général de l’AMF prévoyait, lui, ces contrôles.
Aussi était-il également soutenu, à titre subsidiaire, pour l’hypothèse où il serait considéré qu’un simple règlement pourrait instituer de tels contrôles, que le règlement général de l’AMF était en tout état de cause illégal, faute pour l’AMF de disposer, à la date de son édiction, d’une habilitation pour adopter des mesures réglementaires organisant les contrôles. En effet, la loi pour la sécurité intérieure n’avait pas repris, à l’article L 621-7 du CMF fixant le périmètre du pouvoir réglementaire de l’AMF, la possibilité précédemment offerte au CMF de déterminer les conditions de mise en œuvre des contrôles par l’article L 622-7 du CMF, abrogé par ladite loi.
Statuant selon son office, le juge des référés du Conseil d’Etat a, au visa de la Constitution, retenu que le règlement général de l’AMF ainsi adopté ne pouvait à lui seul fonder les pouvoirs des contrôleurs :
« les conditions dans lesquelles les contrôles effectués par les services de l’Autorité des marchés financiers sont diligentées ainsi que les prérogatives dévolues aux contrôleurs étaient seulement définies, à la date des opérations litigieuses, dans le règlement général de l’AMF pris sur le fondement de l’article L 622-3 [L 622-7] du code monétaire et financier qui renvoyait au règlement général, avant son abrogation par la loi de sécurité financière du 1 er août 2003 la « détermination des conditions dans lesquelles sont effectués les contrôles » ; ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la procédure de contrôle est entachée d’irrégularité, faute pour les mesures diligentées à cette occasion de trouver une base légale, dans le seul règlement de l’AMF sur le fondement duquel elles ont été menées est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité des sanctions litigieuses ».
Ainsi, ceux des contrôles de l’AMF qui ont donné lieu à des opérations attentatoires aux libertés, réalisés entre août 2003 et juillet 2013 – car la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires a fini par aligner les pouvoirs des contrôleurs sur ceux des enquêteurs -, pourraient l’avoir été illégalement, faute de base légale.
Cette décision démontre l’importance que le Conseil d’Etat accorde à la régularité des procédures de sanction et le rôle qu’il entend tenir dans la protection des libertés. Elle confirme qu’il peut, saisi en référé, agir avec célérité pour enrayer les effets gravement dommageables attachés au caractère exécutoire de sanctions administratives dont la légalité est douteuse.
Marie-Paule Melka et
Denis Garreau