Par son décret
n° 2018-617 du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme, le Gouvernement vient, encore une nouvelle fois, de modifier les règles de procédure intéressant, en grande partie, le contentieux de l’urbanisme (
I) mais aussi le
contentieux administratif général (
II). L’objectif en la matière étant de faire baisser le nombre de contentieux en compliquant toujours plus l’accès au juge.
I - Les modifications, en matière du contentieux de l’urbanisme, sont nombreuses et trouvent leur origine, pour l’essentiel, dans les propositions faites dans le rapport
« Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace » établi en 2017 par une commission présidée par la Présidente Christine Maugüe.
A - D’abord, l’ancienne rédaction de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme imposait
la notification des recours en annulation en énumérant limitativement les actes soumis à une telle obligation, à savoir les décisions de non-opposition à une déclaration préalable, les permis de construire, les permis d’aménager. Dès lors qu’un acte n’était pas cité par l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, le recours dirigé contre celui-ci n’était pas soumis à notification. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat avait jugé que le recours contre une décision refusant de constater la caducité d’un permis de construire n’avait pas à être notifié, une telle décision ne figurant pas parmi celles visées à l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme (CE, 17 mars 2017, Malsoute, Req. n°
396362 et 396366).
La nouvelle rédaction de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, issue du décret du 17 juillet 2018, modifie radicalement le champ d’application de cette obligation puisqu’elle n’énumère plus les actes pour lesquels les recours en annulation doivent faire l’objet d’une notification mais fait désormais référence à une catégorie plus large – car indéfinie - qui est celle de
la décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol régie par le code de l’urbanisme.
Cette nouvelle rédaction se rapproche pour partie, mais pour partie seulement, de l’ancienne rédaction de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme, issue du décret n° 2000-389 du 4 mai 2000 relatif à la partie réglementaire du code de justice administrative, laquelle soumettait à notification, les recours dirigés contre
« la décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code » mais aussi contre
« les documents d’urbanisme ».
En 2007, une nouvelle modification de l’article R 600-1 faisait disparaître les documents d’urbanisme de son champ d’application.
Le décret du 17 juillet 2018, lui, reste muet sur la question des documents d’urbanisme ; dès lors se pose la question de savoir si ces documents doivent être considérés comme des « décisions relatives à l’occupation ou l’utilisation du sol ». Plusieurs décisions du Conseil d’Etat rendues au visa de l’article R 600-1 en sa rédaction de 2007 ont considéré que le recours dirigé contre un document d’urbanisme n’avait pas à être notifié (CE 27 avril 2011, Req. n°
340844,
340846). Nous pensons dès lors qu’il devrait en être de même sous l’empire du nouveau texte. Subsiste cependant une incertitude qui justifie par prudence et tant que le Conseil d’Etat ne se sera pas prononcé, de considérer que les recours dirigés contre les PLU, les SCOT et autres documents d’urbanisme sont soumis à notification.
La question se pose aussi pour les recours contre les décisions de refus qui ne paraissent toujours pas être concernées par l’obligation de notification des recours. En effet, saisi de la question de savoir si l’article L. 600-3, qui comme il a été rappelé précédemment, visait déjà les décisions relatives à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par code de l’urbanisme, s’appliquait aux décisions de refus de permis de construire, le Conseil d’Etat avait répondu par la négative en jugeant que
« le législateur, en employant l'expression "décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code", n'a entendu viser, conformément à l'objectif de sécurité juridique poursuivi par la loi, que les décisions valant autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol qui sont régies par le code de l'urbanisme ; qu'il en résulte qu'un refus de permis de construire ne constitue pas une décision entrant dans le champ de l'article L. 600-3 du code de l'urbanisme ; que par conséquent, l'appel dirigé contre un jugement ayant statué sur la légalité d'une décision de refus de permis de construire n'est pas assujetti au respect des formalités de notification prévues par l'article L. 600-3 du code de l'urbanisme » (CE, 12 mars 1999, Cinamed, Req. n°
175721).
Cette solution, s’agissant des décisions de refus, se justifie par la circonstance que de telles décisions ne modifient pas l’ordonnancement juridique et n’ont d’effets que pour les pétitionnaires.
B - Ensuite, le décret du 17 juillet 2018 réduit le délai d’action - prévu par l’article R. 600-3 du code de l’urbanisme, en vue de l'annulation d'un permis de construire ou d'aménager ou d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable - de un an à compter de l'achèvement de la construction ou de l'aménagement à 6 mois.
C - De plus, l’actuel article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme – issu des propositions du rapport Labetoulle de 2013 - donne une définition de l’intérêt à agir du requérant (à l’exception de l’Etat, des collectivités territoriales, des associations) en subordonnant la recevabilité de la contestation d’un permis de construire, d’un permis de démolir et d’un permis d’aménager à la circonstance qu’il démontre que la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'il détient ou occupe régulièrement ou pour lequel il bénéficie d'une promesse de vente ou de bail.
L’article R. 600-4 du code de l’urbanisme, créé par le décret du 17 juillet 2018, prévoit qu’
à peine d’irrecevabilité, les requêtes dirigées contre une décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol régie par code de l’urbanisme doivent être accompagnées du titre de propriété, de la promesse de vente, du bail, du contrat de bail ou de tout autre acte de nature à établir le caractère régulier de l’occupation ou de la détention de son bien. Là encore, à la différence de l’article
L. 600-1-2 du code de l’urbanisme qui dresse une liste limitative des actes contestés pour lesquels le requérant doit justifier de son intérêt à agir, le nouvel article R. 600-4 du code de l’urbanisme a préféré retenir la catégorie plus vaste et indéfinie de décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol régie par le code de l’urbanisme, ce qui inclut notamment les déclarations de travaux, les certificats d’urbanisme, etc.
Ce même article R. 600-4 du code de l’urbanisme prévoit que les requêtes introduites par les associations, doivent,
à peine d’irrecevabilité, être accompagnées des statuts de celle-ci ainsi que du récépissé attestant de sa déclaration en préfecture.
En revanche, l’article R. 600-4 du code de l’urbanisme ne précise pas si les irrecevabilités susceptibles d’être opposées sont régularisables ou non, et si oui, dans quelles conditions. Notamment, rien n’est dit sur l’obligation pour le juge d’inviter à régulariser la requête. En principe, il devrait être considéré qu’il s’agit d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours qui ne peut être relevée d’office sans invitation à régulariser (art. R 612-1 du code de justice administrative).
D - On sait que l’article R. 611-7-1 du code de justice administrative offre à la
juridiction la possibilité de fixer, par ordonnance, la date à compter de laquelle les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux. Cette possibilité de cristalliser les moyens reste une simple faculté pour le juge.
En matière d’urbanisme, le décret du 17 juillet 2018 innove, en créant une disposition spéciale, en l’occurrence l’article R. 600-5 du code de l’urbanisme, qui instaure un mécanisme de cristallisation automatique. En effet, lorsque la
juridiction est saisie d’une requête relative à une décision d’occupation ou d’utilisation du sol régie par le code de l’urbanisme ou d’une demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant une telle décision, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Mais l’automaticité de cette cristallisation peut être remise en cause puisqu’il est loisible à la
juridiction de fixer, à tout moment, une nouvelle date de cristallisation des moyens à la condition cependant que le
jugement de l’affaire le justifie.
E - En outre, le décret du 17 juillet 2018 crée l’article R. 600-6 du code de l’urbanisme qui prévoit que le juge statue dans un délai de dix mois sur les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou contre les permis d’aménager un lotissement. Mais dans l’hypothèse où ce délai ne serait pas respecté, le décret ne prévoit aucune sanction.
F - Enfin, le décret du 17 juillet 2008 prolonge, jusqu’au 31 décembre 2022, la règle posée par l’article R. 811-1 du code de justice administrative qui supprime la voie de l’appel contre les jugements des tribunaux administratifs en prévoyant que, dans les
« zones tendues » visées à l'article 232 du code général des impôts et au décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d'application de la taxe annuelle sur les logements vacants, les tribunaux administratifs statuent
en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation.
II – En matière de contentieux administratif général, le décret du 17 juillet 2018 insère au code de justice administrative un article R. 612-5-2 qui prévoit qu’en cas de rejet d’une demande de suspension présentée sur le fondement de l’article R. 521-1 du code de justice administrative pour absence de doute sérieux, il appartient au requérant,
sauf lorsqu’un pourvoi en cassation est formé contre l’ordonnance, de conformer le maintien de sa requête à fin d’annulation dans un délai d’un mois à compter de la notification du rejet.
A défaut, le requérant est réputé s’être désisté.
Il n’y a donc pas lieu de confirmer le maintien de la requête en annulation lorsqu’un
pourvoi en cassation est formé contre l’ordonnance ou quand la demande de suspension est rejetée pour défaut d’urgence.
Le décret du 17 juillet 2018 s’appliquera aux requêtes à fin d’annulation ou de réformation enregistrées à compter du 1
er octobre 2018.
L’avenir dira si ces dispositions permettent effectivement de réduire le nombre de contentieux. On peut cependant regretter la voie empruntée par le Gouvernement qui rapproche, au fur et à mesure des modifications procédurales passées et présentes, le recours en annulation d’un véritable
« parcours du combattant ». En revanche, il est certain que ces dispositions, en alignant les obstacles, vont multiplier les irrecevabilités. Se posera sans doute la question de la proportionnalité de ces atteintes à l’effectivité du droit au recours.
P. Chauvin, D. Gravier (stagiaire) et
D. Garreau